Le 7 septembre 1973, la Ville de Montréal émettait un permis de démolition pour l’ancienne résidence du dirigeant du Canadien Pacifique, William Cornelius Van Horne, vaste demeure en pierre grise à l’angle des rues Sherbrooke et Stanley, construite en 1870 et agrandie en 1890. Le jour même, le démantèlement des intérieurs commençait et le lendemain, la maison tombait au terme d’un long débat public et judiciaire. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, bien au contraire !
À l’époque, démolir était courant à Montréal comme au Québec et au Canada. Hormis le Vieux-Montréal et quelques bâtiments préindustriels protégés par le gouvernement, des milliers d’édifices voire des milieux de vie et des quartiers entiers qu’on jugerait aujourd’hui patrimoniaux, ont disparu. Comme les démolitions de Pennsylvania Station à New York ou des Halles de Paris, celle de la maison Van Horne provoqua une mobilisation citoyenne et un réveil des institutions pour changer la vision, les règles et les outils de développement urbain.
Un mois après la démolition de la maison Van Horne, 23 groupes de citoyens se fédéraient pour fonder Sauvons Montréal pour « la préservation du patrimoine domiciliaire et communautaire de la région de Montréal, pour favoriser le bien-être et la vie sociale et culturelle » de toute la population. Cette mobilisation et d’autres sont à la source du mouvement moderne montréalais pour un développement urbain qui tienne compte du patrimoine bâti et naturel autant que des besoins et aspirations de la population. En 1975, Héritage Montréal sera fondé pour « encourager et promouvoir la protection de l’héritage historique, architectural, naturel et culturel des communautés de la Province de Québec ».
Cette mobilisation et d’autres sont à la source du mouvement moderne montréalais pour un développement urbain qui tienne compte du patrimoine bâti et naturel autant que des besoins et aspirations de la population.
Le gouvernement du Québec, qui était resté insensible aux demandes de classement de la maison Van Horne, modifiera ses lois et protégera plusieurs bâtiments patrimoniaux exposés aux pressions immobilières du centre-ville. Par exemple : en novembre 1973 la maison Shaughnessy (où Van Horne avait résidé) ; en 1974, les maisons Louis-Joseph Forget, Lord Atholstan, James Reid Wilson et Ernest Cormier, la chapelle des Sœurs grises et les tours du Fort des Messieurs de Saint-Sulpice puis, en 1975, les clubs Mount Royal et Mount Stephen et, en 1976, la maison-mère des Sœurs grises.
A la Ville de Montréal, on a cherché à combler certaines lacunes réglementaires et créé une commission d’arbitrage sur la protection du patrimoine résidentiel. En 1979, la Ville et le gouvernement du Québec ont signé une première entente de collaboration sur le patrimoine, entente renouvelée depuis sous le thème plus large du développement culturel. De cette entente est née la Société immobilière du patrimoine architectural (SIMPA) dont la formule novatrice a permis de réaliser plusieurs projets complexes de sauvegarde de bâtiments patrimoniaux dont la requalification pionnière de l’ancien monastère du Bon-Pasteur.
Même le milieu des affaires s’est engagé. Ainsi, le projet visionnaire de la Maison Alcan est inauguré en 1983, face au site de la maison Van Horne.
50 ans plus tard, grâce aux efforts soutenus de citoyens et de groupes comme Héritage Montréal, notre patrimoine est mieux reconnu et protégé. Malgré les disparités et les crises, les pouvoirs publics disposent d’instruments de réglementation, de planification et de consultation qui faisaient gravement défaut en 1973. Des programmes éducatifs et de formation professionnelle autant que les nombreuses concertations ont rehaussé la sensibilité et l’expertise. Évalué à Montréal à près de 90 000 bâtiments auxquels on devra ajouter les nombreux autres construits après 1940, ce patrimoine est aujourd’hui un actif remarquable pour Montréal, tant au centre-ville que dans les quartiers et les autres communautés de la région métropolitaine, en termes d’identité et d’attractivité et de réponse aux urgences sociales et climatiques.
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Publié en 1983 : Un mouvement en progression, la préservation à Montréal
Si d’importants chantiers de protection et de mise en valeur ont été menés — par exemple, le Vieux-Montréal, le secteur du canal Lachine ou le mont Royal, d’importants défis se dressent devant nous comme le rappellent les Vérificatrices générales du Québec et de Montréal en 2020 et 2023. Tout comme la prolifération observable du façadisme en réponse aux poussées densificatrices des promoteurs et des administrations face à une fiscalité néfaste ou à certaines interprétations des enjeux environnementaux. Dans ce contexte, le contrôle des démolitions reste parfois un enjeu mais le défi actuel est bien davantage celui de la requalification d’ensembles patrimoniaux pour leur redonner, selon les termes de la Convention du patrimoine mondial de 1972, « une fonction dans la vie collective ».
En 2023, protéger le patrimoine va bien au-delà d’éviter sa démolition. Il faut comprendre et prévenir une diversité de risques, depuis l’abandon aux impacts du changement climatique. Par des interventions de qualité — pertinentes, informées, bien conçues et bien réalisées, permettant un bon usage et un entretien adéquat, il faut donner à ces bâtiments et ensembles, la capacité de participer à la ville et aux quartiers de demain, à leur identité comme au bien-être de leurs populations. La complexité croissante des projets de requalification — pensons aux anciens hôpitaux Hôtel-Dieu et Royal Victoria, aux églises désaffectées, à l’ancienne Molson ou au secteur Lachine Est, appelle à partager les expériences et à innover avec des stratégies de concertation, d’occupation transitoire, de fiducies ou de fiscalité incitative pour adapter ce patrimoine aux exigences contemporaines sans le dénaturer.
Ce 50e anniversaire coïncide avec l’adoption d’une politique nationale d’architecture et d’aménagement pour le Québec et avec les mises à jour prochaines du plan d’urbanisme de Montréal et du plan d’aménagement et de développement métropolitain. Voilà de belles occasions pour fonder une nouvelle relation entre la société montréalaise, son patrimoine bâti, urbain, paysager ou naturel, et le développement de son territoire en se donnant le devoir et les moyens de s’en occuper véritablement dans le bénéfice collectif actuel et futur.
Crédit photo couverture : Démolition de la maison Van Horne, le 8 septembre 1973. Jean Goupil, La Presse, BAnQ P833S4D1250_0001_1
2 commentaires
Bravo, très beau témoignage de la vivacité de Héritage Montréal et de son excellent travail!
Bonjour Dinu
Vive la société civile et les divers combats menés pour inscrire dans la vie urbaine et quotidienne ,l’histoire, cet héritage qui nous lie .
Ce résumé est excellent ! Place désormais pour les débats et les combats qui allient le patrimoine construit aux patrimoines culturel et naturel…