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Avertissement au lecteur Publié dans le magazine Continuité édition été 1983, et préservé grâce à Érudit. Prenez note que cet article à titre informationnel tiré d'archives pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
par Mark London, architecte et urbaniste et directeur général exécutif d’Héritage Montréal (1979-1987)
S’il fallait fixer une date de naissance au mouvement actuel de conservation au Canada, on pourrait bien choisir le 8 septembre 1973, le jour où la maison Van Horne à Montréal fut démolie. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’action importante de protection du patrimoine avant cette date ou que d’autres villes ne menèrent pas leurs propres luttes. Mais la bataille pour sauvegarder la maison Van Horne et les événements qui en découlèrent marquent bien le début d’un mouvement qui a évolué rapidement pour faire partie désormais de l’aménagement urbain.
Durant les années soixante et au début des années soixante-dix à Montréal, quelques actions civiques isolées s’opposèrent à certains projets comme le réaménagement urbain de la Petite Bourgogne, l’arasement d’une dizaine de pâtés de maisons pour permettre l’érection du complexe de Radio-Canada, ainsi que l’expropriation de milliers de logements dans différents quartiers pour la construction de l’autoroute Ville-Marie. La protestation la plus éclatante vint du comité des citoyens de Milton Park qui luttèrent contre la disparition de six pâtés de maisons pour faire place au complexe La Cité.
Toutefois, la destruction de dizaines de milliers de logements, de centaines d’églises, et d’autres édifices à caractère architectural ou historique importants, passa le plus souvent inaperçue. À cette époque, le progrès était une forme d’intervention divine, à la fois souhaitable mais qui ne suscitait aucune réflexion car inévitable.
Dès le début des années soixante-dix, les protestations des citoyens se multiplièrent. Les résidents de certains bâtiments, situés en bordure du centre-ville grandissant, s’opposèrent aux expulsions et aux démolitions. Ainsi, les Amis de la Gare Windsor essayèrent d’empêcher le démantèlement de cet immeuble et lorsque la maison Van Horne fut à son tour menacée, émergea un front commun regroupant plusieurs associations. Les appuis affluèrent surtout lorsque le ministère des Affaires culturelles refusa un avis de classement en tant que site historique: le bâtiment n’avait aucune valeur pour le Québec! La Ville fut alors forcée d’émettre un permis de démolition un vendredi après-midi et dès le lendemain matin, le promoteur rasait la maison Van Horne devant une foule consternée. Deux semaines plus tard, Sauvons Montréal était fondé.
Durant les quelques années qui suivirent, au moins une douzaine de préservateurs engagés se réunirent chaque mercredi après-midi dans un petit local, pour discuter des points chauds de la semaine. Une douzaine de sujets étudiés, des politiques établies, les tâches et les responsabilités assignées, et chaque semaine chacun accomplissait son devoir, les volontaires investirent énergie, argent et des milliers d’heures dans une guerre considérée comme noble puisque menée contre le bulldozer.
Les deux premières années, ils luttèrent surtout pour préserver des bâtiments isolés — souvent en requérant leur classement du Gouvernement du Québec — ou en levant des fonds grâce à des marchés aux puces et à des bals. Puis furent également incluses des activités à long terme: éducation du public, recherche, modification des lois.
Après une campagne de financement pour Sauvons Montréal et son organisme Espaces Verts, le comité d’organisation créa une fondation permanente pour venir en aide aux différents groupes de préservation: Héritage Montréal. Après la protection de l’ensemble du patrimoine montréalais, Sauvons Montréal s’employa à conseiller les différents groupes de quartiers qui se formaient un peu partout à travers la ville sur la façon de diriger leurs propres luttes. Mais il continua les siennes quand c’était nécessaire, particulièrement dans le centre-ville.
Avec les années, le mouvement perdit un peu de son exhubérante jeunesse. À la fin des années soixante-dix, l’énergie des premiers volontaires faiblit et l’organisation perdit son élan malgré l’apport de sang neuf. SOS Montréal, son bulletin mensuel ne paraît plus que tous les trois mois.
Toutefois, pendant cette même période, le mouvement de conservation prit une dimension respectable. Héritage Montréal put amasser des fonds suffisants et fournir certains services qu’offrait bénévolement Sauvons Montréal comme le centre de documentation, les recherches et les planifications à long terme.
Aujourd’hui, les deux organisations existent tout comme une douzaine de regroupements communautaires de quartiers, mais le mouvement a évolué et s’est fragmenté. Si les éléments dynamiques des débuts ne se rencontrent plus chaque semaine pour planifier certaines stratégies, ils n’en demeurent pas moins attentifs.
Retombées bénéfiques
Le mouvement de conservation aura bientôt dix ans. Il est bien difficile d’évaluer le rôle des personnes dans ce processus, chefs de file ou simplement prophètes du revirement apparu à Montréal durant la dernière décennie. Sans Christophe Colomb, l’Amérique n’aurait-elle pas été découverte de toute manière?
L’action de ces quelques personnes- clés a sûrement catalysé la formation du mouvement et sans elles, la prise de conscience n’aurait pas été ce qu’elle est. Il est probable aussi que les démolitions auraient été plus nombreuses. De plus, l’élection d’un nouveau gouvernement provincial et de conseillers municipaux de l’opposition lui fut bénéfique.
Le mouvement de préservation s’avéra très important dans les domaines suivants:
1.Perception du public:
Il y a dix ans, un sondage sur l’opportunité de démolir la gare Windsor aurait révélé à une majorité écrasante: «Oui, débarrassez- nous de ce tas de vieilles pierres grises pour que nous puissions avoir un bel édifice moderne». Aujourd’hui, je suis sûr que les pourcentages seraient inversés et que 95% de la population opterait pour la préservation.
Grâce à des centaines de manifestations, d’articles de journaux et de revues, de rapports, de livres, de discours, d’exposés, de conférences et plus tard de films, Montréal a découvert son patrimoine à un tel point qu’il en est devenu une marotte. L’administration municipale a du moins assimilé le jargon du mouvement de conservation, particulièrement en période électorale pour proclamer: «La Ville de Montréal améliore la qualité de l’environnement. . . », ce qui signifie qu’on plantera quelques arbustes autour d’un terrain de stationnement par exemple.
2.Démolition:
La vague de démolition s’est atténuée. Les promoteurs, conscients du ralentissement que peuvent provoquer les protestations publiques, recherchent autant que possible les terrains vacants. De fait, Sauvons Montréal a clairement démontré que les espaces libres du centre-ville permettraient plus de cent ans de construction sans démolition. Il a aussi à son actif le premier inventaire complet des bâtiments du patrimoine, d’ailleurs adopté ensuite par la Ville. Enfin, la province et la Ville ont légiféré pour contrôler au moins la démolition résidentielle.
3.Renovation de quartier:
Sous la poussée d’une action civique, la Ville a réduit le zonage de tous les quartiers centraux pour limiter la hauteur des constructions et a adopté une série de programmes pour rénover les bâtiments les plus anciens.
Toutefois sa priorité semble être d’accroître ses revenus. Elle cherche maintenant à rapatrier une partie des quelques 200 000 personnes qui se sont installées en banlieue lors de ses projets grandioses.
Ainsi, les personnes à faible revenu sont souvent déplacées. Le mouvement croissant des coopératives d’habitation, à l’instar de Milton Park (le plus grand projet de rénovation en coopérative au Canada mis sur pied conjointement avec Héritage Montréal) répond à ce problème.
4.Préservation d’édifices historiques:
Bien des monuments importants n’existent encore que grâce à l’action des citoyens: la Maison-Mère des Soeurs Grises, la Congrégation Notre-Dame, le couvent du Bon Pasteur, le Mont Saint-Louis, la Maison Shaughnessy entre autres.
La Ville et le MAC ont créé une société municipale (SIMPA) pour stimuler la préservation des bâtiments d’intérêt historique et architectual. Les promoteurs commencent à réaliser qu’il est souvent moins coûteux de rénover que de construire mais aussi que le caractère patrimonial se vend mieux.
Défis futurs
Le mouvement de préservation est certes un grand succès mais le travail est loin d’être terminé. La Ville et les promoteurs se sont récemment attaqués aux espaces verts et plusieurs sites naturels les plus importants de l’île ont disparu. Malgré la promesse faite il y a sept ans, Montréal n’a toujours pas de plan directeur pour le développement du centre-ville. L’avenir des grandes institutions religieuses est toujours à déterminer. Montréal est une des rares villes nordaméricaines qui ne possèdent pas encore de loi sur le patrimoine et la fiscalité favorise toujours la démolition plutôt que la rénovation.
En fait, on a l’impression que Montréal a un certain retard dû sans doute à la direction autocratique du gouvernement municipal et autres institutions. Les décisions sont imposées par des gens qui ne connaissent pas nécessairement les derniers développements ou les besoins réels de la population.
Maintenant que cette dernière s’implique de plus en plus et demande à être consultée sur les décisions affectant son environnement, elle pourra peut-être décider en tout état de cause et là, le mouvement de conservation sera parvenu à maturité.