Qui es-tu?
Je suis Edward Houle, stagiaire en architecture et historien de l’architecture travaillant dans le domaine de la conservation. Je suis guide bénévole à Héritage Montréal depuis 2015.
Quel est ton coup de cœur?
Pour mon arrêt préféré de tous les temps (jusqu’à présent), j’ai choisi la Caserne 39 pour son emplacement inattendu, son design raffiné et subtilement inhabituel, et son admirable architecte, Joseph Venne.
À la découverte de Longue-Pointe
Le secteur sud-ouest du quartier Longue-Pointe de Mercier est caractérisé par des rues tranquilles bordées d’arbres matures, de maisons unifamiliales, de duplex et de triplex, et de quelques boutiques, le tout à quelques pâtés de maisons seulement des usines et des entrepôts. Quelques bâtiments institutionnels contribuent à l’identité architecturale du quartier, comme l’église paroissiale monumentale et l’école de trois étages, toutes deux baptisées Notre-Dame-des-Victoires et qui se font face dans un parc. A quelques rues de là, dans un secteur peu habité, une belle caserne de pompiers , la Caserne 39 (2915 rue Monsabré), agrémente le quartier.
Une architecture fonctionnelle et digne
La Caserne 39 se compose d’un bâtiment principal de deux étages, situé au coin de la rue. Elle abrite trois garages, des installations connexes ainsi qu’une haute tour située à l’arrière du bâtiment principal. Les tours des casernes de pompiers ne contribuaient pas seulement à l’échelle et à la visibilité des casernes, mais elles servaient aussi à suspendre de longues lances d’incendie pour les faire sécher. Elles pouvaient aussi servir de vigie pour surveiller le déclenchement des incendies. Les murs de la tour sont presque aveugles jusqu’au sommet où l’on peut voir de hautes fenêtres en arc situées sous un toit en croupe surmonté d’une cheminée.
Les proportions du bâtiment principal sont relativement horizontales : la façade avant, symétrique, présente trois grandes ouvertures avec de larges arcs en plein cintre, une rangée de fenêtres rectangulaires au-dessus, et une ligne de toit globalement plate, interrompue seulement par un grand blason. Sur les façades latérales, de solides bandeaux complètent les fenêtres pittoresques.
Le matériau dominant est la brique, dans des tons subtilement nuancés de brun, tissés en une variété de motifs richement texturés. On trouve de la pierre lisse de couleur chamois dans les détails tels que le bandeau, les appuis de fenêtre, les angles d’attaque, les arcs. La même pierre est utilisée pour les armoiries de la façade principale, une grande sculpture en relief présentant une version antérieure de l’emblème de Montréal. Les cadres et les châssis des fenêtres sont peints d’un jaune tendre, et les façades reposent sur une base de granit gris clair.
Cette caserne de pompiers est sophistiquée et très distinguée, sans écraser les bâtiments environnants. En tant que bâtiment fonctionnel d’un service public essentiel, son apparence, peu modifiée depuis sa construction, est à la fois robuste et digne.
Les (éventuels) avantages de l’annexion à Montréal
La Caserne 39 a été construite en 1914, à une époque où le statut de municipalité de ce district change et où les infrastructures locales sont considérablement améliorées. En 1910, Longue-Pointe, Beaurivage et Tétraultville, municipalités voisines qui connaissent un développement résidentiel et industriel rapide, sont annexées par la Ville de Montréal. Ces anciennes villes constituent aujourd’hui une bonne partie du secteur est de Mercier.
Un an après l’annexion, les résidents se plaignent à la Ville de Montréal du mauvais état des infrastructures publiques de leur quartier. Il n’y a pas de trottoirs, de réseau d’aqueduc municipal – les élèves de l’école locale devaient se contenter de latrines extérieures – et la capacité de lutte contre les incendies laissait également à désirer. Lorsqu’un incendie se déclarait, les résidents n’avaient que des seaux pour l’éteindre. La Ville s’est attaquée à ces problèmes entre 1913 et 1915, et trois casernes de pompiers ont été construites à Mercier, dont la Caserne 39. Celle-ci illustre donc l’amélioration des services locaux mais aussi l’intégration du quartier à la ville de Montréal, comme le proclame très clairement les armoiries municipales qui couronnent le bâtiment.
Joseph Venne, un architecte prolifique et un concepteur inventif
Les talents architecturaux de Joseph Venne (1858-1925), architecte de la Caserne 39, contribuent à cette modernisation des infrastructures. Venne commence sa carrière d’architecte auprès de Maurice Perrault et Albert Mesnard, avec lesquels il s’associe en 1890. Il fonde ensuite une série d’autres bureaux. Au cours de sa carrière, Venne reçoit de nombreuses commandes de l’Église catholique, d’organisations civiques (comme la Société Saint-Jean-Baptiste), d’institutions commerciales et, bien sûr, de la Ville de Montréal. Il contribue à son domaine de plusieurs façons : il fait partie de l’équipe de spécialistes qui rédige le premier Code du bâtiment de Montréal et collabore à l’une des premières études historiques sur l’architecture canadienne. Il enseigne également le premier cours public de construction et d’architecture de Montréal et figure parmi les les membres fondateurs de la première association professionnelle d’architectes du Québec (1890), dont il deviendra plus tard le président. Enfin, il est un des membres fondateurs de ce qui va devenir l‘Institut royal d’architecture du Canada.
Cet architecte complet est également un concepteur compétent et inventif. Il utilise souvent des éléments sculptés en profondeur, le profil de ces bâtiments et certains motifs ornementaux sont particulièrement distinctifs de son travail. Bien qu’il suive les modes de son époque, mais Joseph Venne a tendance à mélanger les esthétiques de manière originale, ce qui rend son travail difficile à classer pour les historiens de l’architecture. La Caserne 39, par exemple, présente des éléments de style italianisant, en particulier avec sa tour, tandis que la maçonnerie en brique brune rappelle le mouvement Arts and Crafts.
La conception de la caserne peut également avoir été inspirée par des architectes américains. Sa massivité rappelle vaguement le travail de Henry Hobson Richardson (1838-1886) et la répétition des portes et des fenêtres évoque le travail de Louis Sullivan (1856-1924). Mais quelles que soient ses sources d’inspiration pour la caserne, il les a combinées en y apportant sa touche personnelle.
Une architecture pour tous
Joseph Venne soutenait que la belle architecture n’était pas seulement pour les personnes riches, mais qu’elle pouvait être appréciée par tout le monde. Pour lui, la qualité architecturale dépendait davantage d’une conception réfléchie et expressive que de la magnificence ou des matériaux extravagants. Avec la Caserne 39, Venne applique cette éthique architecturale dans un quartier ouvrier ; son bâtiment municipal fonctionnel est doué d’une présence civique vigoureuse.