Face au complexe de la Société Radio-Canada se dresse l’imposante église Saint-Pierre-Apôtre. Des ouvriers du faubourg à m’lasse à la communauté LGBTQ+, l’institution du centre-sud de Montréal a accueilli des Montréalais de tous les horizons.
De faubourg à quartier ouvrier
En 1725, on érige des fortifications pour protéger Montréal d’une éventuelle attaque. Plusieurs portes permettent d’accéder à la ville : porte des Récollets à l’ouest, porte Saint-Laurent au nord et porte Québec, à l’est, dans l’axe de la rue Notre-Dame, le chemin vers la capitale. C’est cette ouverture qui est la source du développement du faubourg Québec : une population qui s’installe à l’extérieur des murs de la ville.
La démolition des fortifications en 1801 permet la croissance accélérée de ces faubourgs qui s’intègrent maintenant pleinement à la trame urbaine. Jusqu’au premier tiers du 19e siècle, l’urbanisation demeure près du fleuve et de la rue Notre-Dame (Sainte-Marie), notamment autour de l’intersection du chemin Papineau, l’une des rares voies qui traverse l’île jusqu’à la rivière des Prairies. On y retrouve notamment un marché et des commerces, l’usine de bière des Molson et la prison de Montréal.
Rapidement, le secteur s’industrialise : des manufactures (de caoutchouc, de souliers, de vêtements et de cigarettes notamment) côtoient des plus petites fabriques (tannerie, briqueterie, fonderie, etc), formant la plus grande concentration industrielle de la ville après celle du canal de Lachine. Ce pôle industriel attire des ouvriers en grand nombre, venus de la grande région de Montréal, du Québec et même d’ailleurs dans le monde. La croissance démographique générale de Montréal (1851 : 57,000 personnes; 1891 : 255,000 personnes et 1931 : 820,000 personnes) s’exprime évidemment aussi dans ce quartier. S’établissant à proximité de leur emploi, les familles de ces ouvriers sont prises en charge par des paroisses, élément structurant de la vie sociale à l’époque.
L’église Saint-Pierre-Apôtre
Jusqu’au milieu du 19e siècle, Montréal ne compte qu’une seule église paroissiale alors que sa population s’accroit et s’étend. Bientôt, il est difficile pour les paroissiens plus éloignés de rejoindre leur lieu de culte. En 1848, Monseigneur Ignace Bourget, l’évêque de Montréal, permet la construction d’une chapelle dans le faubourg Québec, sur la rue de la Visitation. Petite et en bois, la chapelle est confiée aux pères Oblats, une communauté religieuse venue de France en 1841. Rapidement, la chapelle déborde et une nouvelle église est commandée dès 1850. Sa conception est confiée à Victor Bourgeau. Dès lors, ce dernier devient l’architecte attitré du diocèse de Montréal, réalisant des dizaines d’églises, couvents, chapelles et autres ensembles institutionnels, dont l’Hôtel-Dieu, l’église de Pointe-Claire et une partie de la cathédrale Marie-Reine-du-Monde.
Victor Bourgeau imagine une église néogothique magistrale, en pierre grise. Le chantier de l’église Saint-Pierre-Apôtre est mis en branle en 1851 et complété à peine deux ans plus tard. Certains éléments seront ajoutés par la suite. En 1875, on construit le clocher surmonté d’une flèche en bronze, surplombant le quartier à plus de 70 mètres de haut. Sur les façades latérales, on remarque des arcs légers, essentiellement décoratifs, qui s’appuient sur des pinacles insérés entre les fenêtres inférieures. Au-dessus de l’entrée de l’église, une statue de Saint-Pierre surplombe les visiteurs. En ciment pressé et bronze, elle a été installée en 1941, remplaçant la sculpture originale qui datait de 1858.
En pénétrant dans l’église, on remarque tout de suite la lumière naturelle abondante, qui traverse les 36 vitraux. Celui représentant Saint-Pierre, au fond du chœur, date de 1853. La longue nef est coiffée d’un plafond vouté où s’entrelacent des ogives, supporté par d’imposants piliers en pierre calcaire. En 1930-1931, on profite de travaux d’ignifugation pour revamper l’intérieur de l’église. Les décorations d’origine de Bourgeau sont alors rafraîchies par Guido Nincheri.
En 1977, l’église Saint-Pierre-Apôtre et les bâtiments voisins (la maîtrise Saint-Pierre, le presbytère et la sacristie) sont classés par la Ministère de la Culture et des Communications du Québec.
Fractures et renaissance
Le quartier est victime de plusieurs grands chantiers qui affectent sa population et sa composition. Dans les années 1920, la construction du pont Jacques-Cartier entraîne la première fracture, dans l’axe de la rue Papineau. Puis, entre 1953 et 1955, la Ville de Montréal démolit plusieurs pâtés de maisons pour transformer l’étroite rue Dorchester en grand boulevard, qu’on renomme René-Lévesque en 1987. Enfin, en 1963-1964, les démolitions du faubourg à m’lasse, entre les rues Dorchester, Wolfe, Viger et Papineau, pour faire place au site de Radio-Canada, entraînent le départ de plus de 5000 personnes ainsi que la destruction de 678 logements et d’une multitude de commerces et usines. Au terme de ces transformations majeures, la paroisse Saint-Pierre-Apôtre a perdu la quasi-totalité de ses paroissiens.
Dans les années 1970 et 1980, le quartier – ce qu’il en reste – se transforme : des institutions de la communauté LGBTQ+ s’installent notamment sur la rue Sainte-Catherine. Le quartier gai de Montréal prend forme au nord de l’église Saint-Pierre-Apôtre. Dans les années 1990, l’église ouvre ses portes à ces nouveaux paroissiens, et prend le titre d’église ouverte, dont l’accueil est « inconditionnel pour tous et toutes ». Les locaux communautaires du sous-sol accueillent notamment Séro Zéro, un organisme voué à la prévention du VIH. En 1996, l’une des chapelles latérales devient la chapelle de l’Espoir, en hommage aux victimes du sida.
1 commentaire
Très intéressant