Déjà, les natifs d’Amérique du sud utilisaient l’art pictural à grande échelle, faisant du décor peint une pratique justement maîtrisée. Variant en fonction du climat, du type de terre, des pigments végétaux, des systèmes de construction locaux et de l’univers iconographique relié au territoire et aux systèmes de croyances développés par les communautés culturelles, ces décors peints dressaient un fin portrait de chaque région.
Ces traits culturels, construits et transmis au fil des ans, furent largement métissés lors de la colonisation espagnole. Car, si, de tout temps, la peinture ornementale fut un canal d’expression et de transmission des connaissances et des croyances, cela ne fut jamais aussi vrai que sous l’Empire colonial qui utilisa cet art pour évangéliser par le trait et l’image un peuple qui ne savait pas lire. Émergea alors, au fil d’une acculturation violemment imposée, une tradition stylistique propre au territoire andin, mêlant influences européennes et racines locales.
La Cathédrale Vieja (Cuenca, Équateur) : importation européenne
La colonisation espagnole des années 1530 a largement teinté les territoires andins. Implantant leur religion, les conquistadors imposèrent en effet rapidement une uniformité culturelle autant au regard des techniques employées que des thèmes abordés. L’ancienne cathédrale de la ville de Cuenca, aujourd’hui reconvertie en musée d’art religieux, est un réceptacle de ces techniques importées. Apposés sur un lambris de bois, une charpente ou des murs enduits de chaux, les décors peints imitent ici la grandeur des églises européennes : veinures de bois nobles ou de marbres, techniques de trompe l’oeil recréant des caissons richement ornés au plafond ou des pilastres et tableaux sur les murs du choeur, etc. Construite en 1557, soit peu de temps après la fondation de cette nouvelle ville coloniale sur les vestiges des Canaris et des Incas, cette cathédrale fut édifiée pour les nobles émigrés, bordant la Plaza de Armas.
L’église de San Bautista (Huaro, Pérou) : évangéliser par le trait
Usant de référents et d’une méthode d’expression culturelle ancestrale, les conquistadors virent avec justesse le potentiel du décor peint en arrivant sur le sol andin. Le coût de production faible et la rapidité d’exécution de ces décors ne furent que des arguments supplémentaires pour assurer une évangélisation hâtive des indigènes par l’image. L’église du village de Huaro en est un bon exemple : ses murs de chaux sont entièrement recouverts de fresques représentant des scènes liturgiques telles que “L’allégorie de la mort”, “L’arbre de vie” et le “Jugement dernier”. Réalisées en 1802 par l’artiste métisse Tadeo Escalante, formé par des maîtres espagnols, ces fresques évangélisent par le trait tout en mariant des connotations subtiles du territoire et des valeurs indigènes comme la flore et la faune andine et amazonienne, le soleil ou les constellations.
L’église de Santiago (Curahuara de los Carangas, Bolivie) : appropriation andine
Au coeur du désert bolivien, cette église est une des trois chapelles Sixtine des Andes.Son extérieur austère et simple de construction, mariant adobe et couverture de paille, cache des espaces intérieurs d’une grande richesse décorative : l’abondance des décors qui recouvrent les murs du sol au plafond tels des textiles font oublier la dureté de l’altiplano bolivien, plongeant l’usager dans une forêt colorée et des ciels étoilés. Les scènes bibliques se multiplient ici entre les frises décoratives parsemées de fleurs, de nuages, de plumes, de fruits et d’oiseaux. Ce paradis terrestre révèle l’existence d’une tradition stylistique andine mêlant traditions européennes et racines locales.