À l’origine, le Square Mile (ou Mille carré en français) s’étendait du mont Royal, en descendant sur son flanc sud, jusqu’à l’actuel boulevard René-Lévesque, et de Côte-des-Neiges/Guy à l’ouest jusqu’à l’avenue du Parc/rue Bleury à l’est. Dans les années 1950, les journalistes ont embelli le nom du quartier et l’ont appelé le Golden Square Mile (Mille carré doré), bien que le quartier soit déjà en pleine transformation à l’époque. Cet article se concentrera sur le cœur du Square Mile, le secteur le plus intact, délimité par le parc du Mont-Royal et la rue Sherbrooke, de Côte-des-Neiges à McTavish. Deux grands complexes institutionnels, l’Université McGill et l’ancien hôpital Royal Victoria, délimitent le quartier à l’est.
Le quartier résidentiel du Square Mile a été développé à partir des années 1860, avec la construction de la luxueuse résidence italianisante de Sir Hugh Allan, Ravenscrag, aujourd’hui plus connue sous le nom Allan Memorial Institute. De 1880 jusqu’à la dépression de 1930, des chefs d’entreprise dans les domaines du transport, de la finance et de la fabrication, dont beaucoup sont aujourd’hui considérés comme des personnages historiques canadiens importants, y ont construit d’opulentes maisons élégantes. À une certaine époque, le Square Mile fut le quartier le plus riche de Montréal et même de tout le Canada.
Le Square Mile comprend de nombreuses demeures bourgeoises de style villa et leurs dépendances, construites sur mesure par les grands architectes de l’époque, dans une grande diversité de styles architecturaux. On y trouvait également des maisons jumelées et en rangée plus modestes, comme celles qui existent encore sur les rues Stanley et Peel, entre Docteur-Penfield et Sherbrooke. De 1900 à 1940, les résidences de type appartement ont remplacé certaines des demeures originales du Square Mile, notamment les appartements historiques Linton, Acadia et Château qui bordent aujourd’hui la rue Sherbrooke.
Après la Seconde Guerre mondiale, le Square Mile s’est considérablement transformé, les grandes résidences devenant ingérables et la valeur des terrains du centre-ville augmentant. De nombreuses superbes demeures ont été démolies dans les années 1960 et 1970 et remplacées par des tours d’habitation génériques qui s’intègrent mal avec l’architecture pavillonnaire basse du quartier. D’autres manoirs sont devenus des consulats, des propriétés religieuses ou ont occupé d’autres fonctions non résidentielles comme l’éducation.
Après la guerre, l’Université McGill acquiert, par achat ou par don, de nombreuses résidences du Square Mile, dont les maisons Hosmer et Davis, ainsi que le Chancellor Day Hall, l’ancienne maison de James Ross. Aujourd’hui, McGill possède une quinzaine de demeures, ce qui fait de l’université le plus grand propriétaire de maisons du Square Mile au-dessus de Docteur-Penfield. Pendant un demi-siècle, l’administration de McGill s’est assuré du fonctionnement de ces bâtiments irremplaçables et les a protégés de la pression fonçière. Toutefois, McGill indique dans son Plan directeur 2019 qu’environ la moitié de ces demeures seront prochainement “libérées”, ce qui modifiera probablement leur fonction éducative. Ces changements potentiels de propriétaire et de fonction, combinés à l’augmentation de la valeur des terrains dans le Square Mile, menacent l’architecture résidentielle historique et le paysage qui lui est associé sur le côté sud du Mont-Royal.
L’architecture et l’histoire du Square Mile sont bien documentées par de nombreux livres et articles, ainsi que par la collection de photographies du Musée McCord. J’ai choisi deux de mes résidences préférées, toutes deux relativement intactes, pour mettre en valeur l’impressionnant travail d’architecture résidentielle et d’artisanat du Square Mile.
La maison Charles Hosmer, 1901
3630, rue Drummond, située dans le Site Patrimonial du Mont-Royal
La maison Hosmer et sa dépendance sont situées sur un bloc avec deux autres maisons du Square Mile qui sont toujours dans leur cadre d’origine. En amont se trouve la maison James Thomas Davis achevée en 1909 (avec sa dépendance) et en aval se trouve la maison Alice Graham au 3605 de la Montagne achevée en 1926. Une quatrième résidence, située à l’angle sud-est, a été démolie en 1968 et le site est actuellement un stationnement. McGill est propriétaire de l’ensemble du bloc situé entre Drummond et de la Montagne et au-dessus du Docteur Penfield. Il s’agit du dernier bloc de maisons et de paysages historiques du Square Mile sans aucune nouvelle construction. Le plan directeur 2019 de McGill prévoit la vente de ce bloc, incluant les trois résidences.
La maison Hosmer a été conçue par les célèbres architectes montréalais Edward et William Maxwell, qui ont par la suite construit le Musée des beaux-arts de Montréal en 1912. La résidence a été achevée en 1901 pour l’entrepreneur et self-made-man Charles Hosmer. L’extérieur très ornementé de la maison et de la dépendance en grès rouge a été conçu dans un style Beaux-Arts français. (William Maxwell avait récemment été diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris). Chaque pièce du riche intérieur a été minutieusement décorée dans un style différent, permettant au propriétaire d’exposer ses vastes collections. Par exemple, la salle de réception était de style rococo, la salle à manger de style néo-gothique et la bibliothèque de style Renaissance française tardive. Le somptueux hall d’entrée et le grand escalier étaient de style baroque. L’extérieur et l’intérieur sont de la plus haute qualité artisanale pour l’époque. Bien que les intérieurs aient été modifiés par la suite pour répondre aux besoins des utilisateurs de l’École de physiothérapie et d’ergothérapie de McGill, il reste encore beaucoup de traces des intérieurs d’origine. De nombreux vitraux ont été réinstallés dans le bâtiment Macdonald-Harrington dans les années 1980. La maison Hosmer et sa dépendance font partie du Site Patrimonial du Mont-Royal mais la résidence n’a pas de classification patrimoniale québécoise.
Maison Joseph-Alderic Raymond, 1930
1507 Docteur-Penfield, classé immeuble patrimonial en 1975, située dans le Site Patrimonial du Mont-Royal
La maison Raymond, comme la maison Hosmer, a été construite pour un entrepreneur très prospère dans un style Beaux-Arts français. Cette résidence est l’une des dernières grandes maisons construites dans le Square Mile ; elle a été achevée après le krach financier de 1929, mais sans pour autant faire de compromis. La maison a été conçue par les prestigieux architectes montréalais Robert Findlay et son fils Francis pour J.A. Raymond, un éminent homme d’affaires et hôtelier. (La famille a été propriétaire des Canadiens de Montréal pendant 20 ans.) Contrairement à la maison Hosmer, l’extérieur et une grande partie de l’intérieur de la maison Raymond ont été classés par le Québec en 1975. De plus, elle conserve sa fonction originale de résidence. L’extérieur de cette élégante maison de style Beaux-Arts est revêtu de calcaire chamois avec des colonnes doriques encadrant l’entrée principale et une balustrade couronnant les façades. Les pièces principales, qui présentent un travail d’artisanat remarquable et de nombreuses boiseries de différents styles, s’ouvrent sur un grand jardin du côté ouest. Une belle dépendance se trouve également à l’arrière de la propriété.
La classification n’est qu’un outil pour aider à préserver les dernières maisons historiques du Square Mile. Il devient essentiel de trouver des fonctions compatibles pour ces bâtiments inestimables et d’élaborer des politiques d’urbanisme qui favorisent la conservation et la mise en valeur du Square Mile et de son architecture patrimoniale.
En vous promenant entre les rues Sherbrooke et Des Pins, vous découvrirez d’autres bâtiments conçus par les Findlay et les frères Maxwell, ainsi que par de nombreux autres architectes. Outre les immeubles de style manoir, on y retrouve des maisons en rangée comme celles des rues Stanley et Peel, des maisons jumelées et des ensembles résidentiels des années 1920 comme la place Richelieu sur la rue du Musée/de la Montagne, la place Chelsea sur la rue Simpson et la place Redpath.
Bonne promenade !
3 commentaires
excellent, informative, interesting and well illustrated articles!
A very interesting and informative article.
Les frères Maxwell ont aussi dessinés quelques églises. . La rue Sherbrooke aux abord du mile carré comportait plusieurs églises: Messiah (Unitarien) disparue, St. Andrew & St. Paul Presbytérien), toujours la American & Erskine (Presbytérien) maintenant intégré au Musé des beaux arts. et une église Baptiste coté sud de Sherbrooke et Union, remplacé par le People Church. La bourgeoisie anglophone fréquentait ces lieux.