Le 27 septembre 2019, Montréal accueillait une foule fébrile inspirée par la jeune militante Greta Thunberg lors de la marche pour le climat, la plus grande de ces manifestations à travers le monde. Le départ de la marche se tenait sur l’avenue du Parc, près de l’Hôtel-Dieu et du quartier coopératif de Milton Parc, au pied de notre montagne, site patrimonial protégé depuis le XIXe siècle par l’action conjuguée de la population, des institutions et des pouvoirs publics. Ces lieux portent désormais aussi la mémoire d’une marche historique, mais que peuvent-ils faire de plus pour contrer notre désolante réalité climatique?
Cette marche pour le climat a certainement marqué l’imaginaire des Montréalais et Montréalaises, mais elle a aussi influencé plusieurs actions plus concrètes du côté de notre administration et de nos élus. Pensons notamment au premier Plan climat que nous proposait récemment la mairesse Valérie Plante. Au début de l’année 2020, les changements climatiques et l’urgence de trouver des solutions novatrices pour se sortir d’une impasse inévitable semblaient au cœur des préoccupations citoyennes, et ce, à une échelle globale. On annonçait alors haut et fort que la crise climatique serait le moteur de la prochaine crise économique. La crise sanitaire que nous subissons actuellement est certes venue damer le pion au climat, mais la situation n’en est pas moins grave et si nous avons d’abord cru que cette pandémie nous aiderait à ralentir la cadence des émissions de gaz à effet de serre, elle a surtout mis en lumière que même un ralentissement important du trafic automobile et aérien à travers le monde ne saurait suffire à l’atteinte de nos objectifs.
Le rôle des villes dans cette crise et le potentiel du patrimoine bâti
Les villes sont d’autant plus concernées par cette question climatique qu’elles sont au cœur du problème. L’urbanisation en cours depuis la deuxième moitié du XXe siècle a déstructuré et fragilisé nos milieux naturels. Et la ville, réputée énergivore, dépend encore largement des énergies fossiles. Les milieux urbains sont aussi des centres d’activités industrielles et génèrent un volume de déplacements important renforcé par un étalement urbain qui n’atteint jamais de limites. Sans compter l’empreinte du secteur de la construction et de la démolition qui générerait 41% des matières résiduelles produites au Québec.
Parallèlement, les régions urbaines sont également mises à risque alors que s’y trouve une forte concentration de personnes, d’infrastructures, de grandes institutions, d’entreprises et de ressources économiques.
Dans ce contexte, on considère à juste titre que les villes ont une responsabilité face au changement climatique et doivent jouer un rôle de premier plan dans la mise en place de solutions viables. À l’instar de Montréal, plusieurs grandes villes, telles Paris (2018), New York (2019) et Londres (2019), ont mis en place, dans la dernière décennie, des outils de mitigation et des grands plans climatiques afin de faire leur part dans cette crise. Malgré de nombreux efforts et un changement de mentalité qui commence tranquillement à s’opérer, il reste encore beaucoup à faire. Le patrimoine bâti fait assurément partie des solutions à promouvoir pour assurer le bien-être des communautés actuelles et futures.
Le patrimoine bâti : une richesse et une solution d’avenir
Il y a un an à peine, la Vérificatrice générale du Québec publiait un rapport accablant sur la sauvegarde et la valorisation du patrimoine immobilier. Ce document était accompagné d’observations fort intéressantes de la part du Commissaire au développement durable. Ce dernier y rappelait notamment que le patrimoine contribue à la qualité de vie des citoyens, favorisant aussi la cohésion sociale, la création d’emplois ainsi que le développement économique et touristique. Il soulignait encore et surtout que le patrimoine bâti représente un fort potentiel en matière de développement durable. Comme le reconnaissent déjà plusieurs : le bâtiment le plus “vert” est celui qui est déjà construit (Elefante, 2007).
Si les bâtiments anciens sont souvent réputés énergivores, la démolition et la construction d’un nouveau bâtiment, aussi vert et leed soit-il, ont un impact environnemental bien plus grand que la préservation d’un bâtiment ancien, et ce, surtout s’il a été bien entretenu (voir à ce sujet mon article du 21 décembre dernier sur l’entretien du patrimoine immobilier). À cet effet, des études indiquent que la construction d’un nouvel édifice peut nécessiter, selon les circonstances, à peu près autant d’énergie que le fonctionnement et l’entretien d’un bâtiment pendant 40 à 80 ans. La préservation d’édifices ou d’ensembles d’intérêt patrimonial est d’autant plus percutante que ces lieux, souvent de grandes qualités architecturales, sont aussi porteurs de savoir-faire, de mémoire et d’identité collective.
Dans ce contexte de crise climatique, il est ainsi nécessaire d’engager une réelle réflexion sur le maintien et la réutilisation des bâtiments patrimoniaux. Non seulement faut-il une réelle volonté de conserver ce qui peut l’être, mais il faut encore se doter d’outils et d’expertises pour le faire. Par exemple, pour que chaque démolition soit faite de manière responsable, l’analyse du cycle de vie des bâtiments devrait devenir un passage obligé. L’analyse du cycle de vie d’un bâtiment permet de réaliser son bilan environnemental pour l’ensemble de son cycle de vie – de l’extraction des matières premières jusqu’à sa fin de vie (ex. : démolition et gestion des débris), incluant aussi les phases de fabrication, d’usage, d’entretien et de transport. Parallèlement, une meilleure connaissance des savoir-faire artisans et des matériaux utilisés pour la construction des bâtiments d’intérêt patrimonial pourrait aussi contribuer à rendre nos villes plus résilientes.
Mieux intégrer protection du patrimoine bâti et de l’environnement
Dans la dernière décennie, de nombreux travaux menés à l’échelle locale, nationale et internationale considèrent que la conservation du patrimoine culturel est une des stratégies de premier plan pour atteindre les objectifs du développement durable et de la lutte contre le changement climatique. Par exemple, le patrimoine est reconnu à ce titre dans les objectifs des Nations unies pour le développement durable, dans les recommandations de l’UNESCO et celles du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS). Les acteurs en patrimoine se sont aussi mobilisés sous la forme du Réseau Patrimoine climatique. Fruit d’efforts internationaux, notamment d’ICOMOS, ce réseau travaille à faire faire valoir la contribution du patrimoine à la lutte aux changement climatique et les impacts de ces changements sur le patrimoine. À l’échelle locale, les rapports du Comité des communes sur l’environnement ainsi que la loi québécoise sur le développement durable en font également mention.
Reconnaissant à la fois l’importance de protéger le patrimoine bâti et les bénéfices d’une telle protection sur l’environnement, ces instances prônent un renforcement de l’entretien et de la surveillance des édifices patrimoniaux, insistant également sur la nécessité d’une meilleure préparation à la menace climatique. À titre d’exemple, ICOMOS recommande d’améliorer :
- la recherche ;
- le niveau de connaissance et d’engagement ;
- l’éducation ;
- la qualité des plans de gestion (pour y inclure l’évaluation des risques) ;
- la surveillance (pour accroître la résilience des sites patrimoniaux).
Il s’agit là de premières pistes à suivre pour approfondir la connaissance et améliorer nos modes de préservation, d’entretien et de mise en valeur du patrimoine bâti.
Ce qu’il nous reste à faire
C’est dans ce contexte qu’Héritage Montréal a souhaité asseoir sa propre posture quant à cette importante question en proposant une résolution sur le patrimoine et la crise climatique à son Assemblée générale de 2020. Par le biais de cette résolution, Héritage Montréal engage la Ville de Montréal, la Communauté métropolitaine de Montréal et les gouvernements québécois et fédéral à reconnaître la protection et la mise en valeur du patrimoine bâti comme composantes fondamentales de leurs stratégies en matière de développement durable, de transition écologique et de lutte contre les changements climatiques.
Au-delà de cette reconnaissance, nous avons aussi besoin d’actions concrètes pour faciliter un réel changement et de mesures qui responsabilisent les décideurs et promoteurs publics et privés qui se porteraient à l’encontre de cette reconnaissance. Il est temps que nos instances décisionnelles fassent preuve d’exemplarité et de leadership à cet égard. Ainsi, Héritage Montréal encourage également ces divers gouvernements à développer des politiques, programmes et outils d’aménagement du territoire et d’urbanisme priorisant l’adaptation et la requalification du territoire et du patrimoine, de même que des mécanismes collaboratifs pour leur mise en œuvre. À cet égard, l’organisme souligne l’importance de la mise à jour du Plan d’urbanisme et de mobilité de Montréal.
En somme, ce qu’Héritage Montréal demande, c’est que soit adopté avec diligence et soin un principe de préséance du déjà-là.
À chaque printemps, l’Assemblée générale d’Héritage Montréal adopte des résolutions sur des dossiers qui lui sont chers et qu’elle considère prioritaires. En 2020, nous avons adopté quatre résolutions : une sur L’avenir du Vieux-Port (2020-04), une sur les effets de la Covid-19 sur le patrimoine (2020-02), une troisième sur l’entretien du patrimoine immobilier (2020-03) et une sur le patrimoine et la crise climatique (2020-01). Autant d’articles de blogue s’en sont suivi au cours de l’année. Je vous retrouve avec de nouveaux articles sur nos résolutions 2021 au cours des prochains mois.