À l’occasion des élections fédérales d’avril 2025, Héritage Montréal rappelle aux personnes candidates et aux formations politiques en lice que le futur gouvernement du Canada aura des responsabilités à assumer, des défis à relever et des opportunités à saisir en matière de patrimoine et d’aménagement qui touchent Montréal et sa région métropolitaine. Trop souvent, ce patrimoine et le cadre bâti sont évoqués par sympathie ou servent de décor aux annonces, sans proposition ni engagements concrets.
Rappelons que le plan directeur du Vieux-Port promis pour 2017 n’a pas été réalisé et s’est vu retiré ses budgets. Ou que Parcs Canada a autorisé les constructeurs du REM à enjamber le lieu historique national du Canal-de-Lachine sans exigences quant à la qualité architecturale de cet ouvrage bénéficiant pourtant d’un financement fédéral, avec un résultat déplorable. Ou qu’un complexe judiciaire fédéral est en chantier en plein Vieux-Montréal, site patrimonial protégé, après une longue planification sans aucune consultation publique.

Au Canada, la protection du patrimoine passe principalement par les lois sur la culture et l’aménagement, deux domaines desquels le gouvernement fédéral est généralement absent hormis les relations avec les peuples autochtones, le soutien aux arts, les communications ou le financement de certaines infrastructures. En fait, ce n’est qu’en mars 2025 qu’on a vu apparaître « culture » dans le titre d’un ministre fédéral ! Le gouvernement fédéral n’en est pas moins un acteur qui a des obligations alors qu’on devra faire face à d’importants défis de protection et de mise en valeur. Notamment à Montréal et dans la région métropolitaine où se trouve une concentration exceptionnelle – la plus grande au pays, de bâtiments, d’ensembles, de sites et de paysages patrimoniaux.
Ainsi, le Canada a ratifié la Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO par laquelle le Vieux-Québec et ses fortifications remontant au Régime français et le canal Rideau, oeuvre de l’Empire britannique, jouissent d’une reconnaissance internationale. Cette convention appelle les pays signataires à se doter de politiques, de cadres légaux, de mécanismes de financement et à soutenir la formation et la recherche scientifique pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine sur leur territoire. Si le gouvernement fédéral ne peut être le principal protecteur du patrimoine, responsabilité qui incombe surtout aux provinces et municipalités, il ne peut se défiler de son devoir d’aider et de donner l’exemple.
Bien que depuis 1982, le gouvernement fédéral ait une politique sur ses édifices d’intérêt patrimonial, le Canada reste le seul pays du G7 dépourvu de loi sur son patrimoine. Un projet de loi sur les lieux historiques (C-23) a bien été déposé aux Communes en juin 2022 mais, après quelques discours sympathiques des partis, il a végété en procédure parlementaire avant de mourir dans l’indifférence en janvier avec la prorogation, faute de véritable volonté politique.
Depuis 2004, le Bureau du Vérificateur général du Canada a publié plusieurs rapports sur l’état des lieux historiques et des bâtiments patrimoniaux, notamment ceux détenus par le gouvernement fédéral ou son agence Parcs Canada, soulignant leur état de conservation souvent précaire. Le gouvernement fédéral a des obligations plus larges qu’il néglige, notamment en termes de reconnaissance et de soutien aux acteurs dont le travail permet au Canada de répondre à ses engagements internationaux en se développant suivant les valeurs actuelles d’identités, de diversité, de réconciliation et de transition socio-économique.
Au fil des ans, l’Assemblée générale d’Héritage Montréal s’est adressée au gouvernement fédéral. Si sa résolution sur le remplacement du pont Champlain a mené à une collaboration exemplaire (on aurait souhaité que les responsables du REM s’en inspirent), celle portant sur le Vieux-Port et son envahissement commercial est restée sans suite. Quant à celle sur l’action du gouvernement fédéral au Vieux-Montréal, elle mena à une rencontre plutôt stérile sur le projet de complexe judiciaire dont les décisions avaient été déjà prises.
Devant ce constat, Héritage Montréal rappelle aux personnes candidates et aux partis en lice pour l’élection fédérale de 2025 que le patrimoine est un enjeu véritable dont le prochain gouvernement devra s’occuper sérieusement et ce, tant pour des questions d’identité que pour répondre aux défis sociaux, environnementaux et économiques.
Voici trois sujets où l'action du gouvernement fédéral est urgemment nécessaire pour :
- Conserver, requalifier et développer adéquatement ses propriétés patrimoniales et celles de ses organismes ; par exemple, le Vieux-Port, le Silo 5 et la Pointe-du-Moulin, l’ancien siège de l’ONF, l’ancien pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, les installations portuaires, les canaux historiques, les ponts fédéraux, les casernes et autres sites de la Défense;
- Mettre en place une fiscalité incitative et réformer le Code national du bâtiment pour soutenir le maintien, la réhabilitation et la requalification des bâtiments et ensembles patrimoniaux, voire le bâti existant globalement, en réponse notamment, aux besoins d’habitation, de transition éco-énergétique et de développement économique;
- Adopter des règles pour ses projets immobiliers et d’infrastructures ou bénéficiant de son financement, prévoyant des évaluations d’impacts patrimoniaux et une consultation crédible des organismes en patrimoine montréalais.
Enfin, nous rappelons notre demande pour que le gouvernement fédéral appuie la démarche de reconnaissance internationale du mont Royal en inscrivant son ensemble civique et institutionnel sur la liste indicative des sites du patrimoine mondial au Canada.

Par le lien entre nature et culture qu’il incarne et ce, dans un environnement urbain, le mont Royal enrichirait considérablement la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en complétant les sites naturels, autochtones et coloniaux actuellement reconnus au Canada. Protégé par le gouvernement du Québec depuis 2005 et s’étendant bien au-delà du grand parc inauguré en 1876, il comprend des lieux associés aux présences autochtones, aux efforts collectifs de conservation et aux dimensions salutaires, sociales, sacrées ou scientifiques.
La reconnaissance patrimoniale fédérale d’Habitat 67, construction de réputation internationale que les autorités québécoise et montréalaise protègent devant l’indifférence inexplicable du gouvernement du Canada, est aussi de mise.
