Chaque année, dans le cadre de son assemblée annuelle, Héritage Montréal adopte des résolutions sur des dossiers qui lui sont chers et qui sont considérés comme prioritaires. Cette année, l’organisation a adopté quatre résolutions, dont l’une sur l’avenir du Vieux-Port. Aujourd’hui, dans le contexte qu’on connaît, j’ai choisi de vous présenter notre résolution sur le patrimoine et l’aménagement post-pandémique (2020-02).
Le 21 septembre dernier, le Dr Arruda nous annonçait gravement ce qu’on appréhendait déjà depuis les derniers jours de l’été : « on est dans la deuxième vague ». Seulement une semaine plus tard, la grande région métropolitaine basculait en « zone rouge », nous ramenant, en l’espace de quelques jours, dans une situation d’urgence sanitaire ressemblant à celle déjà vécue au printemps dernier, alors que le gouvernement du Québec procédait à la fermeture des restaurants, des commerces, des écoles, des lieux de diffusion culturelle, etc.
Situation actuelle et impact sur la ville
La région de Montréal, comme la majorité des grandes régions métropolitaines dans le monde, est encore une fois durement touchée par cette pandémie. Après plus de six mois, il faut admettre que le virus a bousculé nos pratiques quotidiennes, nos habitudes de consommateurs, notre manière de percevoir et d’être en ville. Notre mobilité est notamment largement altérée. On dit même que la pandémie encouragerait un nouvel exode vers la périphérie. De la maison, à la rue, au quartier, à l’espace public, au centre-ville, notre rapport au territoire est complètement bouleversé.
En parallèle, on peut s’imaginer que le territoire lui-même se transformera peu à peu. De tous les temps, les grandes crises ont changé les villes, leur ambiance et leur forme. C’est d’ailleurs souvent là une opportunité de repenser l’identité d’une ville, de construire du neuf, de moderniser, d’innover, mais aussi de préserver et de mettre en valeur les acquis du passé. À Montréal, ces crises économiques, sanitaires ou sociales ont généré à travers le temps la construction et la mise en valeur de bâtiments et d’espaces publics qui constituent à présent notre patrimoine.
Aujourd’hui, l’espace public semble surtout adapté de manière rapide, interchangeable et temporaire. On cherche par tous les moyens à retrouver un semblant de normalité en attendant la fin de la pandémie. Mais ne faut-il pas penser à plus long terme et profiter de ce moment charnière pour réfléchir à la ville de demain ? Comment souhaite-t-on construire cette ville ? Voulons-nous opérer des changements majeurs ? Et, dans cette relance post-pandémique, quelle sera la place du patrimoine ? C’est malheureusement là une question que l’on pose trop peu…
L’aménagement post-pandémique : penser la ville à court et long terme
Depuis le début de l’été, plusieurs aménagements temporaires ont été mis en place à Montréal. Pensons par exemple au plan estival proposé par l’administration Plante, avec ses kilomètres de rues partagées à mobilité active pour les piétons et les cyclistes. Dans le cadre de notre dernier Échange urbain sur « les rues montréalaises en transition », le 17 juin dernier, Marianne Giguère, conseillère de ville et conseillère associée aux transports actifs au comité exécutif de la Ville, soulignait que la situation actuelle avait permis de tester ces aménagements de rues partagées à grande échelle. La pandémie serait ainsi devenue une opportunité d’expérimenter en matière d’urbanisme.
Gérard Beaudet, urbaniste émérite et professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, nous mettait toutefois en garde quant à ces aménagements de fortune. Bien qu’il soit selon lui tout à fait pertinent de profiter de la pandémie pour tester certaines choses, il faut se rappeler que la situation est extraordinaire et que nos habitudes actuelles le sont également. Aussi, il ne faut pas supposer que parce qu’un projet fonctionne en temps de pandémie, il fonctionnera encore lorsque la Covid-19 sera maîtrisée.
En effet, il ne faut pas se leurrer, quelques aménagements ludiques et éphémères ne régleront pas tous les problèmes auxquels nous faisons actuellement face. Certes, des aménagements hivernaux faciliteraient notre vie quotidienne et nos loisirs confinés à nos voisinages. Mais la crise sanitaire actuelle se double d’une crise économique et force est de constater que les répercussions se feront sentir pendant longtemps. Les défis sont aussi nombreux et complexes. L’hiver arrive à grands pas et l’argent s’écoule rapidement. Qu’adviendra-t-il de l’itinérance croissante qui nous inquiète depuis la fin de l’été ? Avec un taux de vacance qui risque d’être exacerbé, qu’adviendra-t-il de nos artères commerciales ? Comment contrer le déclin du Centre-ville et le repenser de manière innovante ? Ce sont là des questions qui habiteront urbanistes, architectes, élus, fonctionnaires et citoyens au cours des prochains mois et des prochaines années.
On dit souvent qu’il suffit de quelques mois pour changer une habitude. Or, plus le temps passe et plus les citoyens se familiarisent avec le télétravail, le commerce en ligne et la distanciation physique. Il est d’ailleurs tout à fait possible que certaines des nouvelles pratiques urbaines qu’on pensait temporaires perdurent. Il serait ainsi probablement tout aussi risqué de mettre aujourd’hui en place des aménagements durables sans tenir compte de la situation actuelle et des changements profonds qui sont opérés. Certains dossiers, comme celui du centre-ville de Montréal, nécessitent peut-être des plans d’action à deux vitesses : un plan temporaire et un plan à long terme.
Dans tous les cas, il faudra que la ville et ses arrondissements se dotent d’une vision forte, d’un appareillage réglementaire cohérent et d’aménagements dignes du XXIe siècle.
Dans ce contexte, il nous semble également primordial que le patrimoine soit au rendez-vous, qu’on se rappelle qu’il est le cœur de l’identité montréalaise et qu’on le considère comme l’un des moteurs de la relance.
Le patrimoine au coeur de la relance économique
Le patrimoine, je l’ai déjà dit dans un article précédent , c’est bien plus qu’une affaire de conservation de beaux ou d’anciens bâtiments, c’est un outil de mémoire collective et le témoin privilégié de la relation extraordinaire qui s’est construite à travers le temps entre le bâti et ceux qui l’habitent. Constitué des lieux, des paysages et des pratiques qui ont subsisté au-delà des crises, le patrimoine est ainsi un fil conducteur qui se tisse de façon continue entre le passé et l’avenir de la ville. Et pourtant, on a souvent l’impression que le patrimoine est le parent pauvre de l’action gouvernementale. En mai 2020, la Vérificatrice générale publiait un rapport accablant sur la sauvegarde et la valorisation du patrimoine immobilier au Québec, mettant encore en lumière le manque d’exemplarité du gouvernement et le peu de ressources consacré à sa conservation. Et la situation sanitaire actuelle ne fait qu’accentuer cette réalité.
Alors que de nombreux commerces et restaurants ont dû fermer leurs portes et que les lieux de culture sont sacrifiés, l’essentiel des mesures proposées sont tournées vers les propriétaires, les locataires et les porteurs de projets, alors que très peu d’interventions visent le bâti : les lieux de travail, de commerce, de production et de diffusion. Fort est d’ailleurs à parier que bon nombre de bâtiments d’intérêt patrimonial se retrouveront vacants dans la prochaine année. Cet actif immobilier pourrait servir à la gestion de la crise, comme on l’a notamment vu durant la première vague avec l’Hôtel-Dieu de Montréal et l’hôpital Royal-Victoria. Mais compte tenu de la façon dont on traite le patrimoine actuellement, si la question de sa préservation, de son entretien et de sa mise en valeur n’est pas spécifiquement incluse dans les projets de relance économique (telles que la loi 66 par exemple), il est fort possible que les actions de relance mènent à des démolitions de bâtiments patrimoniaux.
Le patrimoine peut pourtant constituer un moteur rassembleur et attractif dans le contexte actuel et il serait avantageux de miser sur son entretien, sa restauration, sa requalification et sa mise en valeur dans un contexte de relance économique. Plusieurs pays, dont la France, ont d’ailleurs pris ce parti en faisant du patrimoine un pilier de la relance.
Ce que demande Héritage Montréal
En adoptant cette résolution sur le patrimoine post-pandémique, Héritage Montréal souhaite que les règles sanitaires et les mesures d’adaptation du bâti adoptées par les autorités tiennent compte des qualités, des caractéristiques et de l’intégrité du patrimoine qu’elles visent. Le patrimoine immobilier doit être reconnu comme un des axes principaux des plans et des programmes d’investissement et de relance économique. Ceux-ci doivent toutefois être accompagnés de critères clairs et bénéficier d’expertises afin de maximiser la conservation patrimoniale au sens large. En effet, il n’est pas suffisant de profiter de la crise pour tester de nouvelles pratiques et de nouveaux usages, il faut aller plus loin et assurer le suivi des processus entamés de manière à éviter que les opportunités ne se transforment en nouveaux risques.
Héritage Montréal recommande également que la Ville de Montréal, ses arrondissements et les autres municipalités de la région métropolitaine mettent en place des stratégies spécifiques et convainquent les gouvernements de les appuyer à cet effet. Ces mesures incluent des aides financières, des mesures fiscales et des usages transitoires de locaux vacants, pour assurer la survie et le rétablissement des artères commerciales ainsi que des lieux communautaires et culturels, de manière solidaire et sensible. Dans ce contexte, il serait d’ailleurs souhaitable que les villes, arrondissements et autres propriétaires publics collaborent pour constituer une réserve immobilière de bâtiments et d’espaces en cas de crise.
Finalement, Héritage Montréal espère que la Ville de Montréal intégrera ces considérations dans la mise à jour très attendue de son plan d’urbanisme au niveau de la vision de cohérence comme des orientations et des mesures concrètes. Tel que nous le constatons dans notre résolution 2018-01 sur le futur plan d’urbanisme, le plan d’urbanisme en vigueur, adopté en 2004, ne reflète plus le territoire, les responsabilités nouvelles de la Ville de Montréal ni les défis actuels. Aussi, la situation actuelle nous paraît idéale pour entamer une mise à jour digne du XXIe siècle, tenant compte des réalités comme de l’évolution de la société montréalaise.
Photo en entête : Place d’Armes, Montréal. Photo : Héritage Montréal.