Chaque année, dans le cadre de son assemblée annuelle, Héritage Montréal adopte des résolutions sur des dossiers qui lui sont chers et qui sont considérés comme étant prioritaires. Cette année, quatre résolutions ont été adoptées et pour ce premier billet, je vous présente notre résolution sur l’aménagement et la mise en valeur du secteur du Vieux-Port de Montréal (2020-04).
Le Vieux-Port, son importance dans la ville
Pour de nombreux Montréalais, le Vieux-Port de Montréal est un secteur très touristique qu’il vaut souvent mieux éviter. Et pourtant, jusqu’au début des années 1980, le territoire était encore partiellement clôturé et l’accessibilité au Vieux-Port largement limitée. En ces temps de pandémie et de disette touristique, nous avons aujourd’hui une occasion extraordinaire d’en profiter pleinement et sans contrainte. Mais connaissez-vous bien ce secteur fondamental de l’histoire montréalaise?

Le Vieux-Port, ainsi que le Silo no 5 et la Pointe-du-Moulin qui se trouvent un peu plus à l’ouest, sont d’importants témoins de l’histoire de Montréal. Par ses activités portuaires, industrielles et commerciales, ce territoire, propriété de la Société immobilière du Canada, est reconnu comme étant le berceau économique de la métropole. Les installations qu’on y trouve illustrent d’ailleurs sa croissance, à partir des années 1850 jusque vers 1950. Pensons notamment aux structures industrielles encore présentes : le fameux Silo no 5 certes, mais aussi les tours marines et les convoyeurs, les quais et les déversoirs. Cet ensemble constitue sans nul doute un patrimoine d’importance qu’il faut protéger et mettre en valeur.
En 1959, l’ouverture de la voie maritime ainsi que l’évolution du transport maritime participent à transformer l’organisation des activités du port de Montréal, qui se concentrent désormais dans des secteurs plus à l’est. En 1964, le Vieux-Montréal est déclaré arrondissement historique et en 1970 le canal Lachine est fermé à la circulation maritime. Ces évènements participent à créer le Vieux-Port que l’on connaît aujourd’hui : un grand espace de promenade et de détente à proximité du centre-ville et du Vieux-Montréal. Cette vocation qui s’est imposée a d’ailleurs pris une importance grandissante à mesure que le centre-ville s’est densifié et que les quartiers riverains se sont repeuplés.
Grand projet et silence radio
La première consultation publique sur l’avenir du Vieux Port est menée en 1978 sous la gouverne de feu Mark London – qui allait ensuite devenir DG d’Héritage Montréal. Ce fut une consultation pionnière pour Montréal. Dans les années 1980, à la demande de la société montréalaise, la Société du Vieux-Port tient de nouvelles consultations publiques afin d’identifier une vocation principale pour le Vieux-Port. Ce dernier est alors reconnu comme un lieu public, de détente et de récréation, excluant à la fois la vocation résidentielle ainsi que la commercialisation intensive. On vise plutôt une « réutilisation du lieu par les Montréalais par la mise en valeur graduelle et attentionnée de ses qualités intrinsèques » (Vieux-Port de Montréal, 1987, nommé ci après dans le texte « VPM »). Le changement de vocation engage un dégagement du site face au Vieux-Montréal et offre aux Montréalais une fenêtre sur le fleuve. Huit principes directeurs sont alors retenus. Parmi ces principes, on retrouve notamment que le Vieux-Port ne doit pas entrer en concurrence avec les secteurs environnants, mais plutôt leur servir de complément et d’appui. Tout aménagement doit aussi refléter des besoins réels. Finalement, on se doit de mettre en valeur les vues sur le plan d’eau et la ville et reconnaître le caractère maritime et historique du site. La démarche mènera à de grands travaux d’aménagement, à partir des plans de la firme Cardinal Hardy et de l’architecte Peter Rose, sur certains des quais pour le 350e anniversaire de Montréal en 1992. Ces travaux seront salués par la population et récompensés par de nombreux prix.
En juin 2015, le gouvernement fédéral conservateur lance un processus de plan directeur pour le secteur Vieux Port / Pointe du Moulin et mandate la Société immobilière du Canada, qui a hérité de la responsabilité du Vieux-Port en 2012. Signalons qu’est exclue de ce territoire la jetée Alexandra, propriété du Port de Montréal, réaménagée pour accueillir le nouveau terminal de croisière du Port de Montréal. L’objectif du plan directeur est de « créer un ensemble urbain novateur sur le plan de l’architecture, du paysage et du développement durable au bénéfice des Montréalais » (VPM, 2017). La Société immobilière du Canada confie la responsabilité de l’élaboration du plan directeur à la firme Daoust Lestage et se dote d’un comité-conseil pour le conseiller dans son projet. La population est également invitée à commenter le plan préliminaire en 2017.
Tel que le formule le rapport de consultation du VPM, « la vision d’ensemble poursuivie par le VPM dans l’élaboration de ce plan est de renforcer la position du Vieux-Port en tant que site récréotouristique par excellence au Québec » (VPM, 2017). Cette vision se traduit en plusieurs objectifs, incluant une amélioration de l’accès au fleuve, la création de nouveaux pôles d’activités, la revalorisation des espaces verts et publics et la reconnexion du site à la ville.
Chez Héritage Montréal, comme nous l’avons d’ailleurs affirmé dans le cadre de notre mémoire sur le plan directeur en 2017, nous pensons que la vocation et les principes directeurs déterminés en 1987 sont encore pertinents aujourd’hui. Il convient donc pour nous de réaffirmer les principes qui guideront l’évolution du Vieux-Port et de préciser les usages et fonctions à favoriser. Dans son ensemble, le plan directeur proposé s’en inspire, mais semble toutefois y déroger à l’occasion sans nécessité ou justification. Par exemple, les fonctions hôtelières et commerciales prévues sur le quai de l’Horloge pourraient entrer en concurrence avec les services offerts dans le Vieux-Montréal et risquer de les affaiblir. Il n’a pas été démontré qu’elles répondent à des besoins réels qui ne peuvent être comblés autrement. Par ailleurs, les nouveaux bâtiments proposés pour héberger ces fonctions affecteront les vues sur le fleuve à partir de la rue de la Commune.
Nous recommandons également une grande vigilance quant à la volonté de densifier le territoire pour le rentabiliser :
« La clé du succès (du plan directeur) sera sans contredit la capacité de résister à la tentation de faire du développement à tout prix. Il faut rester dans la faible densité, protéger les vues et les grands espaces et préserver l’authenticité du site. » (HM, 2017)
Héritage Montréal, 2017
Voici venu le temps d’agir
Aujourd’hui, après que la Société immobilière du Canada ait tenu une première phase de consultation publique et que les documents préliminaires aient été révisés en 2018, le plan directeur n’a toujours pas été finalisé ni rendu public et la consultation publique sur ce plan n’a pas encore eu lieu. Néanmoins un appel de proposition a été lancé pour le redéveloppement du secteur Pointe-du-Moulin, un groupe gagnant a été annoncé à l’été 2019, mais aucune autre information n’a été diffusée depuis. Qui plus est, en attendant la mise en œuvre de ce plan directeur, des situations et des projets d’installations récréo-commerciales continuent d’encombrer le paysage et de diminuer l’ensemble remarquable que constituent la façade fluviale du Vieux-Montréal et l’entrée du canal de Lachine. On peut en particulier déplorer la présence du parc de Tyroliennes face au remarquable bâtiment du marché Bonsecours et le projet de tour observatoire devant le musée Pointe-à-Callière annoncé pour 2021 par le Port de Montréal.

Dans ce contexte, par sa résolution 2020-04, Héritage Montréal demande au gouvernement canadien et aux différentes instances concernées de finaliser, publier et mettre en œuvre le plan directeur promis pour le secteur du Vieux-Port et de la Pointe-du-Moulin, notamment dans le cadre des projets d’investissement en infrastructures pour la relance post COVID-19.
Nous demandons également que l’esplanade entre le marché et le bassin Bonsecours soit dégagée dès à présent et tout autre projet de construction, suspendu en attendant l’adoption d’un cadre cohérent d’aménagement pour l’ensemble du territoire.
Photographie en entête : Le vieux port de Montréal depuis l’île Sainte-Hélène, Montréal, QC, vers 1967, David Wallace Marvin, MP-1978.186.2.5.17, © Musée McCord