Le 11 novembre 2020, l’Arrondissement Ville-Marie a décidé de protéger 19 enseignes commerciales d’intérêt patrimonial, notamment la bouteille de lait Pure Milk et la célèbre enseigne Five Roses.
Alors qu’il s’agit d’une grande nouvelle pour ces enseignes, l’annonce arrive trop tard pour d’autres qui ont déjà disparu. Heureusement le Montreal Signs Project (MSP), initié par le professeur Matt Soar de l’Université Concordia, vient à la rescousse des enseignes menacées à travers la ville.
Naissance du Montreal Signs Project
Le MSP a débuté en 2010 « avec l’objectif de sauver les enseignes commerciales et civiques d’intérêt culturel et historique exceptionnel pour les Montréalais ». On retrouve parmi les premières enseignes la Taverne Monkland, le supermarché Warshaw, le cinéma Paramount, le restaurant Bens et Monsieur Hot Dog. La collection du MSP comporte une trentaine d’enseignes venant de toute la ville, dont le centre-ville et le Plateau-Mont-Royal, mais aussi Ahuntsic, Ville-Émard, NDG, le Vieux-Montréal, et même le métro et l’aéroport international de Montréal-Mirabel! Les étudiants de l’Université Concordia peuvent les apercevoir tous les jours, exposées dans le pavillon CJ du Campus Loyola.


La collection est le résultat de recherches, de rencontres et de hasard. Elle comprend les enseignes de plusieurs entreprises qui ont disparu dans la dernière décennie. L’équipe du MSP effectue des recherches sur l’histoire de chaque enseigne, d’abord en parlant avec le propriétaire de l’enseigne, puis en faisant des recherches auprès des archives. Les cartes d’inspection apportent des faits additionnels. Certains pourront se demander : « Qu’y a-t-il à raconter sur des enseignes?», Matt Soar répond: « Il y a une myriade d’histoires derrière chaque enseigne : qui l’a commandé, conçu, construit, maintenu en état, vu, travaillé en dessous, etc. Cela pourrait remplir un livre. »

Souvenirs de quartier et morceaux de notre patrimoine
Vous souvenez-vous que le retrait de l’enseigne Archambault avait déclenché des protestations citoyennes il y a deux ans? Matt Soar nous dit que « si une grande enseigne reste installée assez longtemps, le public va s’y attacher comme à un repère familier, bien au-delà de son seul but promotionnel. » Quand il fait visiter l’exposition, il a remarqué que les enseignes « éveillent des histoires, font remonter des souvenirs, et suscitent des commentaires d’appréciation ». Il nous apprend aussi que si l’enseigne actuelle Archambault n’est pas l’originale, « l’idée de l’enseigne est au moins aussi forte que l’enseigne elle-même. »
« Les enseignes sont un portail personnel vers un temps et un lieu du passé. »
Matt Soar.
Au delà des souvenirs, les enseignes sont aussi au centre de la recherche académique du Professeur Soar. Sa recherche l’a amené à organiser le Symposium international sur les enseignes, l’identité de marque et le lettrage dans l’espace public en 2007, appelé Logo cities. Il a aussi réalisé un court documentaire sur les enseignes de Montréal qui lui a valu l’autorisation d’exposer de l’Université Concordia. Il a enseigné un cours de baccalauréat sur les enseignes et le lettrage, et a co-réalisé le documentaire Les Enseignistes de Montréal en 2018.

Sa première rencontre avec les enseignes remonte à 2003, alors qu’il s’installe à Montréal. Il dit qu’il a été « frappé par tous les logos géants et illuminés sur de nombreuses tours du centre-ville ». Il a commencé à réfléchir au patrimoine et au mercantilisme, et dit qu’il a été fasciné par la tension entre ces deux réalités, l’une étant sur le long terme et l’autre sur le court terme. Alors, où tout cela laisse-t-il nos enseignes patrimoniales?
Une collection qui témoigne de l’évolution de la ville

Montréal, comme la plupart des autres villes, est dans un état perpétuel de changement : l’évolution de la planification et de la réglementation; les identités et fortunes socioéconomiques changeantes de quartiers particuliers; les va-et-vient de certains magasins, cafés, restaurants, cinémas et clubs, que ce soit dû à la rénovation ou à la réinvention. Tôt ou tard, tous ces changements sont signalés à travers les enseignes.
site web du MSP
Malheureusement, le MSP ne peut pas accepter toutes les vieilles enseignes. Pour mériter sa place dans la collection, chaque pièce doit répondre à plusieurs critères : est-elle gratuite? Combien de temps a le MSP pour la récupérer? Quelle est l’importance de l’enseigne pour les communautés locales? Comment a-t-elle été construite et est-elle ancienne et/ou unique? Dans quel état est-elle? Est-elle trop imposante pour être récupérée? L’équipe a dû refuser des enseignes candidates dans le passé à cause de la faible qualité de l’enseigne ou parce que le MSP n’a pas pu avoir la permission de la récupérer. Parfois, des organisations locales arrivent à protéger les enseignes, comme c’est le cas de la Pinte de lait et de Farine Five Roses, deux batailles menées avec l’aide d’Héritage Montréal.
Tout en respectant la qualité des enseignes, le MSP peut les réparer si elles en ont besoin grâce à plusieurs professionnels de talent. « Nous avons reçu un soutien incroyable de quelques personnes de l’industrie des enseignes au Québec au fur et à mesure des années, tout particulièrement du concepteur d’enseignes vétéran M. Bill Kovacevic, et, plus récemment, de l’artiste spécialisé dans les néons François Mignault. Ils sont tous les deux passionnés par la valeur patrimoniale de ces vieilles enseignes » raconte Matt Soar. La majorité des réparations consistent à enlever les graffitis, réparer les néons, remplacer les fils électroniques, gommer les défauts, ajouter de nouvelles finitions et personnaliser les cadres d’accrochage.


L’objectif de Matt Soar est d’exposer les enseignes là où le public pourra en profiter, de préférence en intérieur car certaines ne survivraient pas à un autre hiver rigoureux, comme l’enseigne Silver Dragon Mets Chinois. C’est une des pièces les plus extravagantes et tape-à-l’oeil de la collection, du moins pour nous! Plus récemment, le MSP a accepté de nouvelles enseignes : le supermarché Steinberg, le magasin vidéo La Boite Noire, le restaurant Rapido, Club 281, MacDoherty’s Ice Cream, et MARS Comics. Une fois que les restrictions dues à la pandémie seront levées, les visiteurs pourront profiter de l’exposition dans le pavillon CJ du campus Loyola. En attendant, vous pouvez faire une visite virtuelle de la collection avec le concepteur d’enseigne Bill Kovacevic en cliquant ici.
Pour en savoir plus, visitez le site du Montréal Sign Project.
Pour regarder le documentaire Les enseignistes de Montréal, cliquez ici. Et suivez le MSP sur Instagram!
Toutes les photos sont d’Héritage Montréal et ont été prises en mars 2020.