Deux ans après la signature de la déclaration pour revitaliser l’est de Montréal, le REM de l’Est nous est aujourd’hui présenté comme la seule solution viable pour desservir un secteur trop longtemps négligé. Or, au-delà de la volonté d’améliorer la desserte en transport collectif dans l’est de l’île, un objectif qui reçoit un grand appui, ce projet soulève d’importants enjeux et divise les quartiers montréalais plutôt que de créer ce lien entre l’est et le reste de Montréal.
Bien qu’enthousiaste à l’idée d’un transport structurant qui desservirait l’est de Montréal, Héritage Montréal s’est rapidement opposé au tracé aérien, d’abord au centre-ville, puis sur Notre-Dame et Sherbrooke. Une telle structure surélevée créerait inévitablement une fracture dans le tissu urbain des quartiers. L’expérience du résident, du travailleur ou du promeneur en serait largement appauvrie, les paysages obstrués et le patrimoine fragilisé. Mais au-delà des questions d’intégration urbaine, plusieurs aspects du projet nous paraissaient également problématiques. C’est dans ce contexte qu’Héritage Montréal a refusé de faire partie du comité d’experts mis en place par le gouvernement pour développer une charte architecturale pour le projet. Afin de mieux démystifier les nombreux enjeux de ce projet, nous avons rencontré des experts et des citoyens en parallèle des séances d’informations de la CDPQ Infra.
En septembre dernier, dans la foulée de ces rencontres, Héritage Montréal a organisé une semaine d’activités visant à mieux outiller le grand public dans son examen de ce projet. En collaboration avec le Collectif en environnement Mercier-Est et le Regroupement des riverains de Notre-Dame, nous avons d’abord invité la population à un exercice d’arpentage citoyen, sous la forme d’une marche exploratoire du parc Morgan jusqu’au centre-ville, qui nous a permis d’examiner le tracé proposé à partir de la rue. Pour l’occasion, Héritage Montréal a d’ailleurs développé une carte des lieux d’intérêt le long du trajet, afin que les citoyen.ne. s comprennent mieux les implications du tracé à partir de leur propre expérience.
Nous avons ensuite organisé trois tables rondes d’experts portant sur trois enjeux que soulève le REM de l’Est, soit la planification et le financement du transport collectif ainsi que son apport au développement de Montréal.
Le présent article est à la fois un retour sur ces activités et la continuité d’une réflexion sur ce projet qui, espérons-le, sera revu de manière à constituer un réel apport à la collectivité du grand Montréal plutôt que d’être l’objet d’incertitudes et de tensions.
Un projet qui doit s’arrimer à la planification métropolitaine du transport
Si le choix d’une infrastructure aérienne pour une grande partie du tracé du REM de l’Est fait fi de ses impacts sur les quartiers, les paysages et le bâti existant, l’arrimage du projet avec le transport collectif de Montréal est également un problème majeur. Rappelons que l’histoire du transport collectif à Montréal remonte à 1861 avec l’arrivée des tramways hippomobiles. Au fil du temps, un réseau complexe s’est construit, notamment avec la construction du métro à partir des années 1960. Tout nouveau projet d’infrastructure ne peut être imaginé, réalisé ni opéré sans s’arrimer aux structures existantes, elles-mêmes en développement et en modernisation pour répondre aux besoins et aux pratiques actuelles et futures.
Depuis 2017, c’est l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) qui planifie, organise, finance et fait la promotion du transport collectif dans la grande région métropolitaine de Montréal. Cette instance a été créée afin d’offrir une expérience de mobilité intégrée, fluide et efficace aux citoyens et citoyennes de la région métropolitaine dans une perspective de développement durable et de cohésion régionale. Or, si l’ARTM nous assure qu’elle travaille de concert « avec l’ensemble [des sociétés de transport] pour veiller à toute l’intégration avec les réseaux existants », elle n’a pas participé à la conception du REM, et ce, bien qu’elle devra en coordonner le réseau et en financer le fonctionnement. Pourquoi le gouvernement a-t-il mandaté la Caisse de dépôt sans appel d’offre pour ce projet ? Comment se fait-il qu’une telle instance puisse travailler en solo et se soustraire à la planification des transports publics sous l’égide de l’ARTM ?
Un projet qui doit tenir compte des besoins d’aujourd’hui et de demain
Au cours des activités que nous avons organisées sur le REM de l’Est, plusieurs ont d’ailleurs soulevé des incongruités dans la planification et le financement de ce projet. D’une part, il a été évoqué que le projet ne répond qu’en partie aux besoins de transports collectifs identifiés dans l’est de Montréal. Bien qu’une desserte rapide vers le centre-ville soit utile, les pratiques et besoins reconnus dans l’est en termes de mobilité sont largement ancrés dans l’est.
Dans l’Est, 55 % de la demande de transport provient de l’Est, pour une part modale du transport collectif de 18 %. C’est donc pour les déplacements qui se font à l’intérieur du territoire qu’il faut améliorer des services de transport collectif efficaces et compétitifs à l’automobile.
Étude de la demande de mobilité dans l’est de Montréal, Trajectoire Québec, 2019.
Pourtant, seulement quatre stations y seront implantées alors que onze le seront au centre-ville. On comprend que les stations de transport en commun situées au centre-ville génèrent plus d’achalandage, mais comme le tracé proposé dédouble le tracé de la ligne verte, on peut s’interroger sur sa véritable utilité. De plus, le tronçon proposé vers le boulevard de l’Assomption sera parallèle et relativement proche du SRB Pie-IX, qui doit être mis en service en 2022 et 2023. Plusieurs experts y voient une cannibalisation des infrastructures existantes ou déjà planifiées puisque le REM héritera vraisemblablement d’une part de leur clientèle et du financement qui leur est dédié. Tout projet d’infrastructure doit répondre aux besoins actuels et futurs de la population, en complémentarité avec l’offre actuelle. Par ailleurs, on ne connaît pas encore l’impact des infrastructures en construction comme le SRB et du REM de l’Ouest sur l’achalandage.
Cette question en amène une autre : comment tiendra-t-on compte de l’évolution des pratiques d’emploi ou de nouveaux facteurs, notamment induits par la pandémie ? Avec l’explosion du télétravail et du commerce en ligne, la pandémie entraîne de nouveaux changements qui perdureront dans les prochaines décennies. Dans ce contexte, ne serait-il pas nécessaire de prendre un certain recul pour s’assurer d’un projet optimal, prenant en compte ces nouvelles réalités ?
Un projet qui doit dépasser les seuls objectifs financiers
Le REM de l’Ouest, en voie de parachèvement, présente un modèle de financement différent de celui qui prévaut généralement dans la région métropolitaine puisqu’il relève d’un partenariat public-privé plutôt que d’être essentiellement public. Ce modèle sera vraisemblablement celui du REM de l’Est. Par conséquent, comme le soulignait l’un de nos experts invités, le REM cherche moins à répondre aux besoins de mobilité qu’à des objectifs financiers, et ce, malgré des investissements publics majeurs. Lors de ses séances d’informations, la CDPQ Infra a d’ailleurs souvent invoqué des indicateurs de rentabilité économique, sans référence à la rentabilité collective ou sociale des infrastructures proposées. Or, une telle infrastructure engendre assurément des coûts collatéraux. Qui devra débourser pour le réaménagement des secteurs traversés ? Qui en profitera et qui en subira les conséquences ? Avant d’engager un tel projet, il est essentiel de faire l’analyse coût-bénéfice pour identifier les meilleures solutions à la lumière de l’ensemble des coûts directs et indirects, des avantages et des conséquences. Une telle analyse a-t-elle été faite pour le REM de l’Est ? Nos experts invités en doutent, signalant par ailleurs qu’ils n’ont pu avoir accès à l’ensemble des études qui ont été menées pour ce projet. Après de nombreuses demandes de la part des experts et du grand public, la CDPQ Infra a enfin commencé à diffuser ses études. Les inquiétudes perdurent toutefois. Une plus grande transparence est nécessaire.
Un projet qui doit être concerté
Pour maximiser les retombées sociales d’un projet comme le REM, ce dernier doit répondre à un large éventail de besoins. Nos experts invités parlaient de « co-bénéfices ». En d’autres mots, le projet doit avoir des effets positifs au-delà de l’objectif premier de mobilité. Il faut ainsi s’assurer que les usagers du transport collectif ne seront pas les seuls à bénéficier de la nouvelle infrastructure. Les voisins, qu’ils soient résidents, entrepreneurs ou autres, de même que l’ensemble des quartiers traversés devraient également pouvoir en profiter. Pour ce faire, il faut investiguer auprès des citoyens : quels sont les besoins des secteurs traversés ? Quelles sont les faiblesses du projet ? Comment peut-on le bonifier pour qu’il bénéficie à la communauté ? Est-ce qu’on peut diversifier le développement économique des quartiers traversés ? Est-ce qu’on peut favoriser les acteurs qui sont déjà en place ? Il faut encore s’assurer que toutes les parties prenantes (citoyens, entreprises et travailleurs) soient consultées dans le cadre de la planification du projet et qu’un suivi régulier soit mis en place tout au long de son développement. Or, bien que la CDPQ Infra ait tenu des séances d’information au cours de l’été, plusieurs groupes de citoyens sont déçus du manque de consultation et de transparence concernant le projet, notamment en amont des décisions quant à l’appel d’offres, au mode et au tracé choisi.
Ce qu’il nous reste à faire
Alors que le projet actuel proposé pour le REM de l’Est nous est présenté comme la seule option possible, que peut-on encore faire pour que le projet ait des effets positifs sur les quartiers riverains ? Comment obtenir un projet qui innovera sur tous les plans et pourra rayonner par-delà ses seules qualités techniques ? D’abord, il faut certainement continuer de s’informer et d’informer les citoyens et citoyennes montréalais.e.s (à ce titre, ne manquez pas de vous inscrire à notre prochain Échange Urbain sur les défis de la mobilité durable !) Mais comme l’ont mentionné plusieurs de nos experts invités, il faut encore et surtout se mobiliser et se faire entendre auprès du gouvernement québécois. Au même titre que les urbanistes Sandy van Ginkel et Blanche Lemco, qui ont sauvé le Vieux-Montréal de la construction d’une voie rapide en structure aérienne il y a 60 ans, on doit agir pour contrer un tel projet irrecevable.
Compte tenu de son effet déstructurant et dévalorisant sur le territoire et le patrimoine architectural et urbain, de son impact sur le réseau de transport existant et du manque de concertation avec la population montréalaise, il faut exiger que le projet de REM de l’Est soit réévalué.
- Participons largement aux consultations du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) qui devront être menées sur le projet.
- Demandons au Gouvernement du Québec et à la Ville de Montréal de réévaluer le tracé et le mode aérien proposés, mettant en place diligemment des scénarios alternatifs.
- Demandons encore que les citoyens et citoyennes soient consulté.e.s de manière sérieuse, informée et transparente des développements du projet.
- Demandons un projet dont les bénéfices ne se limitent pas aux seuls usagers du transport collectif.
- Demandons que ce projet soit ralenti afin de permettre une évaluation des habitudes de mobilités post-pandémique.
Exigeons un projet qui profite à tous!
Pour s’informer davantage sur les défis de la mobilité durable, inscrivez-vous à l’Échange urbain du 27 septembre : https://www.musee-mccord.qc.ca/fr/activite/mobilite-durable/
Pour visionner la table no 1 sur le REM et la planification du transport collectif : https://www.youtube.com/watch?v=tMbIBsZZhDM&t=375s
Pour visionner la table no 2 sur le REM et le financement du transport collectif : https://www.youtube.com/watch?v=Zt8ajiy4LNo
Pour visionner la table no 3 sur le développement de Montréal : https://www.youtube.com/watch?v=vSgklFMdEnk
Pour télécharger notre Guide citoyen pour arpenter le tracé du REM de l’Est : https://www.heritagemontreal.org/wp-content/uploads/2021/09/REM-de-lEst-carte-FINAL.pdf?fbclid=IwAR3sc_D5fhiQKrTDwaGSQbsSrMztGCtN-tno5UmoxSFb8viIVgCxLrpucxU
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Chaque printemps, l’Assemblée générale d’Héritage Montréal adopte des résolutions sur des dossiers qui lui sont chers et qu’elle considère prioritaires. Au cours de l’année qui suit, nous publions un article de blogue par résolution, question de partager nos réflexions plus en profondeur. En 2021, cinq résolutions ont été adoptées. L’article que vous venez de lire est le premier article de cette série.
1 commentaire
Excellent article qui résume la longue série de questions fondamentales autour du REM de l’est. J’oserais en ajouter une sur la pertinence de la technologie choisie. Juste du point de vue esthétique, les infrastructures aériennes me rappellent des images urbaines d’il y un siècle. Le REM ne sera certainement pas un atout touristique qui provoque l’émerveillement international. Ça me parait plutôt un langage de structure minière qu’on aimerait dissimuler… Montréal peut faire mieux.