Ah, les vacances à la campagne ! L’air pur qui remplit les poumons, le doux chant des oiseaux, les pieds qui pendent au bout du quai… À Montréal, les citadins cherchent à échapper à la chaleur, à la densité et à la pollution de la grande ville dès le milieu du XIXe siècle. Lors de cette période d’industrialisation intense, les usines et manufactures se multiplient dans la métropole tandis que la population bondit de 58 000 habitants en 1851 à près de 500 000 en 1911! Au départ, on s’en doute bien, fuir la ville est surtout le privilège des plus fortunés. La mode est aux « places d’eau » : on se rend en bateau à vapeur passer l’été dans Charlevoix ou dans le Bas-Saint-Laurent, puis dans les Laurentides grâce au chemin de fer qui relie Montréal à Saint-Jérôme à partir de 1876 et ensuite à Mont-Laurier en 1909.
En revanche, la ville de Montréal étant à l’époque plus ou moins contenue entre le fleuve Saint-Laurent et la rue Sherbrooke, nul besoin d’aller si loin pour profiter des doux plaisirs pastoraux. Tandis que certains nantis se font ériger des villas sur les flancs du mont Royal, d’autres, pour renouer avec la nature, la détente et le calme, se tourneront vers les berges de la rivière des Prairies ou du fleuve Saint-Laurent pour rejoindre des destinations aussi exotiques que Pointe-Claire, Repentigny, Ahuntsic ou Longueuil. Au fil du temps, avec l’arrivée du tramway et de l’automobile, les alentours de Montréal seront de plus en plus populaires et accessibles à la population.
AHUNTSIC
L’occupation du territoire ne date pas d’hier dans le secteur de l’actuel quartier Ahuntsic. Des traces de présence autochtone ont été mises au jour sur le terrain de l’église du Sault-au-Récollet. Quant aux colons français, ils ont peuplé les rives de la rivière des Prairies depuis la fin du XVIIe siècle, mais c’est surtout l’arrivée d’autres habitants, essentiellement des fermiers, qui amène la constitution d’un véritable noyau villageois et la fondation de la paroisse de la Visitation en 1736.
Au siècle suivant, la rivière des Prairies voit arriver de nouveaux types de visiteurs venus profiter du calme et de la fraîcheur : les villégiateurs. Près de l’actuel Pont-Viau notamment, de riches Montréalais anglophones forment un hameau qu’ils surnomment Back River. Le secteur prendra par la suite le nom d’Ahuntsic en 1897 puis sera annexé à Montréal en 1910. En 1847 un premier pont en bois reliant l’île Jésus contribue au développement de ce village. Presque cinquante ans plus tard, en 1895, le tramway Millen permet aux citadins de rejoindre rapidement les berges de la rivière des Prairies et plusieurs hôtels et villas estivales sont bâtis pour accommoder les villégiateurs qui viennent désormais jouir des lieux en grand nombre. On profite des plages dans le coin de l’Abord à Plouffe, on se balade à bicyclette, on pêche, on canote… Plus à l’ouest, le parc Belmont loue des embarcations pour voguer sur l’étang et le parc d’attractions, lui, ouvre ses portes aux premiers visiteurs en 1923. Les activités de divertissements ne manquent pas !
Aujourd’hui, le secteur a bien changé : l’urbanisation importante, marquée en autres par l’ouverture du boulevard Henri-Bourassa et la construction du Pont-Viau, a sonné le glas de la villégiature à Ahuntsic.
L’hôtel Péloquin
La plupart des bâtiments témoignant de l’âge d’or de la villégiature à Ahuntsic ont disparu. C’est le cas de l’hôtel Péloquin, construit en 1876, mais détruit en 1911 par un incendie. Il se trouvait sur le chemin du Bord-de-l’eau, actuel boulevard Gouin, près de la rue Basile-Routhier. À l’époque, un autre hôtel, l’hôtel Marcotte, situé sur le site de la caserne numéro 35, lui faisait face.
L’imposant bâtiment de style Second Empire était caractérisé par la forme brisée de sa toiture. Avec sa façade néo-classique, ses colonnades blanches et ses tours, il avait tout pour taper dans l’œil des villégiateurs qui voulaient voir et se faire voir. L’hôtel Péloquin était un lieu incontournable de loisirs ; on s’y retrouvait aussi bien pour des soirées dansantes que pour diverses activités sportives comme des randonnées ou de la chasse. C’est d’ailleurs à cet endroit que se rencontrait à une certaine époque le célèbre « Montreal Hunt Club » ; le plus vieux club de chasse à courre d’Amérique du Nord encore en activité.
La maison Mary-Dorothy-Molson
À Saraguay, à l’ouest, la villégiature se développe plus tardivement. C’est en 1930 que Mary Dorothy Molson, fille du président de la brasserie Molson Herbert Molson et épouse de Hartland Campbell MacDougall, un financier notable, fait construire une cette immense résidence. Le bâtiment demeure propriété de la famille Molson-MacDougall jusqu’en 1974. Située au 9095 boulevard Gouin Ouest, dans le Parc-nature du Bois-de-Saraguay, la maison Mary-Dorothy-Molson, communément appelée le Manoir MacDougall, est toujours debout pour témoigner de la vie mondaine de l’élite économique anglo-montréalaise. On imagine bien les somptueuses réceptions données dans cette fabuleuse maison de villégiature où se sont réunis notamment les Molson, les MacDougall et les Ogilvie !
L’architecte Alexander T. G. Durnford qui a imaginé les plans s’est inspiré du style néo-georgien. La maison se distingue d’ailleurs par la symétrie de la façade principale. Le fronton triangulaire au-dessus de l’avant-corps est percé d’un œil-de-bœuf et le portail en bois peint est surmonté d’un second fronton en arc cintré brisé. Le choix des matériaux de finition témoigne de la richesse des anciens propriétaires. On peut encore voir les boiseries d’ornementation peintes, les solins en cuivre ainsi que les portes et fenêtres en bois d’origine. En outre, presque l’entièreté des 60 pièces à l’intérieur a gardé son aménagement d’origine. La maison, vacante, est aujourd’hui propriété de la Ville de Montréal, qui en fait la location pour des usages ponctuels comme des tournages (dont la série télévisée La Galère).
LONGUEUIL
À l’instar des hauts lieux de villégiature de la grande région de Montréal, l’agglomération de Longueuil a également été très prisée de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1950. De nombreux Montréalais ont profité de son accès au fleuve pour pratiquer diverses activités nautiques et récréatives. Des régates y sont organisées, des tournois de tennis, des pique-niques, des excursions, des danses, etc. Les Fêtes de nuit tenues par le club nautique de Boucherville à la fin du XIXe siècle attirent jusqu’à 15 000 personnes ! Des bateaux à vapeur bondés partent des quais du marché Bonsecours pour amener les fêtards profiter jusqu’aux petites heures du matin des nombreux kiosques, de l’animation, des fanfares, mais surtout du village illuminé par des milliers de lanternes.
Dans les premiers temps, la région de Longueuil n’est accessible aux Montréalais qu’en bateau. Puis, en 1909, il est désormais possible de faire le trajet en tramway via le pont Victoria. Enfin, le pont du Havre (renommé Jacques-Cartier en 1934) est ouvert à la circulation en mai 1930.
Cet engouement pour la villégiature sur la rive sud de Montréal génère deux types d’établissements. En un premier temps, des résidences opulentes au cœur de vastes terrains en bordure du fleuve Saint-Laurent, notamment dans le Vieux-Longueuil, et dans un second temps, grâce à l’amélioration des moyens de transport, des chalets de facture plus modeste, implantés sur de petites parcelles dans les zones les plus anciennes de Saint-Hubert et de Greenfield Park. Dans tous les cas, les routes peu commodes l’hiver favorisent la villégiature estivale.
Nombre de ces villas appartenaient à des Montréalais en vue comme le célèbre photographe William Notman ou le gérant de la banque d’Hochelaga Alfred Prendergast. Si plusieurs ont été la proie des flammes ou simplement démolies, quelques indices de cette époque subsistent néanmoins, que ce soient des villas ou d’anciennes plages transformées en parcs.
Villa Prendergast-Lavery (45, rue Saint-Thomas)
La villa Prendergast-Lavery, l’une des plus anciennes de Longueuil, est construite vers 1879 par l’avocat Alfred Prendergast. Elle constitue l’un des joyaux de l’architecture de villégiature longueuilloise du XXe siècle.
La maison a subi quelques modifications depuis sa construction. Le revêtement initial, en planches à clin, a notamment été remplacé par un crépi jaune. La résidence était également dotée d’un large balcon qui allait d’un côté à l’autre de la façade et qui, avant les développements immobiliers et autoroutiers, permettait une vue sur le fleuve et la plage à proximité. Son toit faussement mansardé est en tôle à la canadienne et les fenêtres sont à battants. La devanture en impose avec ses colonnes, sa corniche à modillons et ses pilastres.
Il est intéressant de remarquer que la demeure est surélevée par rapport au niveau sol pour résister aux inondations saisonnières fréquentes jusqu’aux années 1960 ; le fleuve pouvait parfois déborder jusqu’à la rue Saint-Charles ! En 1951, afin de protéger la municipalité des crues, les autorités font ériger un mur en béton le long du territoire ancien de Longueuil, fermant la plage très appréciée autant des vacanciers que des résidents.
Que ce soit en visitant les secteurs d’Ahuntsic, de Balconville sur le Plateau, du Vieux-Port ou de l’île Sainte-Hélène, l’édition 2021 des ArchitecTours vous aura fait découvrir Montréal en vacances ! Merci à nos nombreux participant-e-s !
D’ici là, nous vous invitons à voir ou revoir notre visite virtuelle des parcs de Montréal ainsi que ce billet sur les parcs d’attractions disparus !
Nous avons déjà hâte de vous retrouver l’an prochain avec une toute nouvelle thématique !
Merci aux partenaires de l’édition 2021 des ArchitecTours :
Ce projet est financé dans le cadre de l’Entente sur le développement culturel de Montréal conclue entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec.