La Société du Parc Jean-Drapeau a dévoilé le 14 avril dernier son nouveau plan directeur de conservation, d’aménagement et de développement. Le plan propose notamment la restauration de la Place des Nations, célèbre et sculpturale entrée d’Expo 67, et, sur l’île Notre-Dame, le réaménagement de Katimavik, ancien site du théâtre des Lilas, et la remise en place du réseau de canaux navigables. Il est également prévu de reconfigurer la circulation autour de la Place des Nations et de verdir les rives à proximité afin de créer des liens physiques et visuels avec le fleuve. Le tout promet une belle expérience de « promenabilité » aux visiteurs, incluant un parcours riverain et de nouvelles passerelles piétonnes.
Mais saviez-vous que l’île Sainte Hélène, qu’on associe beaucoup à l’exposition universelle de 1967, aurait été occupée dès le XIIIe siècle ? Pour ce nouvel article, et en prévision de notre Échange urbain du 5 mai qui a pour thème : « Montréal autochtone : rêve ou réalité ? », nous avons choisi de vous parler de la présence autochtone sur l’île Sainte-Hélène.
Occupation de l’île Sainte-Hélène
Entre 1200 et 1600 de notre ère, des peuples autochtones (notamment ceux que les archéologues et historiens nomment les Iroquoiens du Saint-Laurent) parcourent le fleuve Saint-Laurent entre le lac Ontario et l’estuaire et y trouvent différentes ressources naturelles, notamment dans l’archipel d’Hochelaga et sur l’île de Montréal où certains reçoivent la visite de Jacques Cartier en 1535. Ces occupants autochtones délaissent ensuite le secteur du fleuve sans qu’on ne sache à ce jour, l’origine exacte de ce départ. Les Européens qui arpentent ensuite la région aux XVIe et XVIIe siècles ne les recroisent plus.
En 1611, Samuel de Champlain nomme cette île en l’honneur de sa femme, Hélène Boullé. Par la suite, l’île est concédée à Charles Lemoyne en 1665 et rattachée à sa seigneurie de Longueuil. Pendant longtemps, l’île sert de résidence d’été à la famille Lemoyne, qui la cède finalement en 1818 au gouvernement britannique. L’armée entreprend aussitôt la construction d’installations comprenant le fort actuel et de poudrières dans le cadre d’un vaste plan pour protéger le fleuve d’une éventuelle attaque américaine.
En 1874, l’armée se retire et le gouvernement canadien autorise la Cité de Montréal à utiliser l’île comme parc public municipal. En 1931, Montréal entreprend d’aménager les lieux selon un plan d’ensemble réalisé par l’architecte paysagiste Frederick G. Todd – ce dernier ayant également œuvré à la réalisation du parc du Mont-Royal. Bien que la crise économique entrave la réalisation du plan dans son ensemble, certains éléments ont été réalisés dans le cadre du programme de grands travaux publics lancé pour venir en aide aux chômeurs, notamment le Pavillon des baigneurs.
La Deuxième Guerre mondiale interrompt une fois de plus les travaux, et l’île est réquisitionnée afin de servir de lieu de détention. À la fin de la guerre, la Ville de Montréal en reprend possession et l’aménagement se poursuit en 1949. Par la suite, l’île est agrandie et transformée pour Expo 67 – Terre des Hommes ; un grand nombre de bâtiments et d’infrastructures sont construits, dont plusieurs subsistent encore aujourd’hui.
L’immense succès planétaire d’Expo 67, événement mémorable, et les utilisations civiques du parc ont passé sous silence les périodes plus anciennes de ce lieu exceptionnel, tout particulièrement la présence autochtone.
L’archéologie révèle une présence autochtone précédant de plusieurs siècles l’arrivée des Européens
En 2001, la firme Ethnoscop est mandatée par la Ville de Montréal pour procéder à des fouilles archéologiques sur l’île Sainte-Hélène afin de documenter la période militaire de l’île ainsi que son occupation par les peuples autochtones.
Les archéologues ont étudié deux sites : le site du Pavillon (BjFj-129), près du complexe aquatique, et le site de la Roseraie (BjFj-128), aux abords du restaurant Hélène-de-Champlain.
À droite : Localisation du site du Pavillon, extrait du croquis géomorphologique et potentiel archéologique, plan 2, inventaire archéologique d’ETHNOSCOP, p. 11.
Le site du Pavillon présente des signes d’occupation datant du XIIIe siècle, lorsque les Autochtones que les experts appellent « Iroquoiens du Saint-Laurent » occupaient la région de Montréal. Plus de 80 artefacts ont été retrouvés lors des fouilles de 2004, dont des objets en céramique, un outil (possiblement une hache) et des ossements d’origine inconnue. Malheureusement, des fouilles supplémentaires seraient difficiles à prévoir sur ce site, les « tissus archéologiques » ont été endommagés par des interventions humaines ou ne sont pas accessibles aujourd’hui (à cause d’arbres ou de sentiers par exemple).
L’intervention de 2004 visait à établir l’étendue et l’intensité de l’occupation de ce site et à articuler ces données avec les sites contemporains de la région, notamment ceux situés en face, dans le Vieux-Montréal.
Ethnoscop. Inventaire archéologique au site militaire de l’île Sainte-Hélène, BjFj-84 et occupations préhistoriques, BjFj-128 et BjFj-129, Montréal, 2004, Rapport fourni par le Musée McCord, et réalisé par Ethnoscop pour la Ville de Montréal et le Parc Jean-Drapeau.
Les recherches archéologiques ont aussi confirmé que le secteur de la roseraie présente des traces préhistoriques d’occupation humaine. Plus de 200 artefacts y ont été découvert dont des tessons de céramique, des outils et des ossements d’origine inconnue. Les morceaux de céramique sont probablement des éclats d’un vase fabriqué par des « Iroquoiens du Saint-Laurent » (artefacts de la photo 7). La trace d’un foyer aurait également été découverte. Le tout daterait de la période allant du XVe au XVIIe siècle.
Des fouilles à poursuivre
Ces fouilles n’ont pas permis de déterminer la nature exacte du site ; par exemple, s’il s’agissait d’un établissement temporaire ou plus permanent. Des fouilles supplémentaires, probablement étendues à un secteur plus large, pourraient en apprendre davantage. Le plan directeur dévoilé récemment pour le parc Jean-Drapeau fait état d’une volonté de poursuivre les fouilles d’ici 2030 ce qui est cohérent avec la désignation de l’île Sainte-Hélène comme site du patrimoine par la Ville de Montréal.
Selon la division du patrimoine de la Ville de Montréal qui est aussi en charge de l’archéologie, ces fouilles et les analyses qui en ont découlé seront prises en compte dans la planification de travaux éventuels dans les secteurs ciblés. D’autres interventions archéologiques sont donc à prévoir dans les prochaines années selon la nature des travaux à réaliser et le potentiel archéologique.
Au-delà des fouilles elles-mêmes, il serait intéressant de diffuser les résultats des analyses pour que le public puisse s’informer de ce pan entier de l’histoire d’un endroit que bien des gens croient connaître. En effet, bien que ces fouilles aient été réalisées entre 2001 et 2004, peu de documentation est actuellement accessible au grand public. Quelques artefacts ont été exposés au Musée Stewart mais la majorité d’entre eux sont entreposés à la réserve des fouilles archéologiques de la Ville de Montréal. Aucun projet de mise en valeur, ni même une exposition temporaire, n’est connu à ce jour.
Ailleurs à Montréal, quelques objets autochtones retrouvés lors de fouilles sont visibles au Musée Pointe-à-Callière. Depuis 2017, celui-ci propose de découvrir sous le plancher de verre du pavillon Le Fort de Ville-Marie – Pavillon Québecor des vestiges du fort de Ville-Marie retrouvés entre 2002 et 2015. On a aussi mis à jour les traces d’un foyer autochtone précédant la fondation de Montréal et des objets témoignant « des relations entre les Français et plusieurs nations, principalement les Algonquins, les Hurons et les Iroquois ». Enfin, des fouilles archéologiques menées en 1996 et 1997 sous la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours ont mis à jour des traces de campements autochtones.
Pour en savoir plus sur l’archéologie à Montréal, consultez l’ouvrage Lumières sous la ville : quand l’archéologie raconte Montréal publié en 2017.
Nous vous attendons ce mercredi 5 mai pour venir discuter avec nos experts invités :
- Philippe Tsaronséré Meilleur, Directeur général, Montréal Autochtone
- Christian Gates St-Pierre, Professeur adjoint, Université de Montréal
- Maya Cousineau Mollen, de la nation Innu, Conseillère en développement communautaire Premières nations et inuit, EVOQ
Cliquez ici pour vous inscrire ou suivez la conférence sur Facebook en direct ! La vidéo sera également disponible en ligne après sa diffusion (lien à venir).
Sources :
- Ethnoscop. Inventaire archéologique au site militaire de l’île Sainte-Hélène, BjFj-84 et occupations préhistoriques, BjFj-128 et BjFj-129, Montréal, 2004, Rapport fourni par le Musée McCord, et réalisé par Ethnoscop pour la Ville de Montréal et le Parc Jean-Drapeau.
- Le site du patrimoine de l’île Sainte-Hélène – Analyse des valeurs patrimoniales.
Un grand merci à François Vallée, Jonathan Lainey et Mathieu Lapointe du Musée McCord, ainsi qu’à François C. Bélanger de la Ville de Montréal.
Image en entête : Vue aérienne de l’île Sainte-Hélène, Armour Landry, 1963, BANQ.
3 commentaires
La photo est elle inversée ou photoshoppée?
Bonjour,
Inversée en effet, elle est telle quelle sur le site de la BANQ, nous la modifierons dès que possible.
La photo du panorama de Montréal (présence autochtone à l’île Sainte-Hélène ), à été numérisée à l’envers. Je ne reconnais plus mon Montréal !