Depuis bientôt 39 ans chez Héritage Montréal, Dinu Bumbaru connaît Montréal comme peu d’autres, ses rues, son histoire, et bien sûr son patrimoine. Notre directeur des politiques œuvre aussi pour le patrimoine au-delà de nos frontières, de l’Europe à l’Argentine, en passant par le Japon, le Sénégal, Dubrovnik, Séoul ou encore l’Afrique du Sud. Son implication dans l’ICOMOS ou auprès de l’UNESCO, en comités ou en zones sinistrées, lui ont donné une vision internationale de la défense et des défis du patrimoine bâti et du paysage.
Il est aussi dessinateur et peut-être l’avez-vous aperçu un matin croquer la ville depuis l’autobus 80 qui descend l’avenue du Parc. Marcheur et fervent défenseur de la promenabilité, Dinu Bumbaru est aussi une figure bien connue des médias en tant que porte-parole d’Héritage Montréal.
Nous vous invitons à découvrir son passionnant portrait, fidèle à celui que nous connaissons.
Montréal et toi
- Peux-tu te présenter rapidement (tes études, ton parcours…) ?
Mon parcours est assez simple. J’ai obtenu en 1982 mon diplôme en architecture de l’Université de Montréal après avoir fait sciences pures et appliquées au collège. En 1988, j’ai fait un certificat en conservation architecturale à l’ICCROM, à Rome, suite à une suggestion de Réjean Legault, aujourd’hui à l’UQAM, et de feu Herb Stovel qui travaillait à Héritage Canada à l’époque. Cela m’a amené à un diplôme de maîtrise en conservation obtenu en 1994 de la britannique University of York, suite à une thèse explorant l’idée de former une Croix rouge du patrimoine pour prêter assistance aux bâtiments, ensembles et sites en danger plutôt que de se contenter de s’indigner de leur triste sort ou d’en parler en colloque au conditionnel. Au-delà des études à diplômes, j’ai surtout eu la chance de travailler à Montréal et de m’engager comme bénévole aux niveaux national et international, avec l’ICOMOS notamment.
- En quoi consiste ton travail ? Une journée “typique” chez Héritage Montréal ?
La journée typique d’avant 2020 ! Elle commençait tôt avec un trajet en 80 aux petites heures du matin avec les gens des petits métiers qui vont démarrer le centre-ville ; en hiver dans l’obscurité qui faisait voir la croix du mont Royal et les lumières de la ville puis, au fur et à mesure que les jours allongent, les ombres finement découpées des arbres et de l’Hôtel-Dieu sur le ciel de l’aurore. Bref, une journée plus près de la chanson de Jacques Dutronc, Il est cinq heures…, que des Nuits de Montréal de Jacques Normand. Arriver tôt au bureau, c’est pouvoir prendre le temps de lire les journaux, mettre un tout petit peu d’ordre et préparer la journée avant les téléphones, les réunions, les lettres etc. qui font l’ordinaire, sans oublier les comités, consultations et autres assemblées publiques en soirée.
- Qu’est-ce qui t’a inspiré à rejoindre Héritage Montréal?
Inspiration est un mot bien grand et solennel. Parlons plutôt d’un chemin marqué par mon intérêt pour Montréal et son architecture, un chemin qui a croisé d’heureux hasards et de propices circonstances. J’ai joint l’équipe d’Héritage Montréal en novembre 1982, après avoir pris connaissance de l’existence de cet organisme en 1981 et visité son centre urbain qui venait d’ouvrir sous la coordination de Cécile Grenier de Sauvons Montréal, dans le cadre de mon dernier atelier de mon baccalauréat en architecture. Cet atelier – Architecture urbaine avec Melvin Charney, portait sur la rue De La Gauchetière et plus spécifiquement le Quartier chinois, un quartier pré-piétonnisation qui, malgré les démolitions et la collision des grands projets immobiliers gouvernementaux dont il était le théâtre, avait gardé beaucoup de son authenticité, y compris dans le bâti plus modeste, les enseignes et les institutions communautaires qui reflétaient la tension entre la Chine de Beijing et celle de Taipei. J’étais éligible à un bon d’emploi du gouvernement du Québec ; j’ai donc postulé pour un mandat de 20 semaines pour rédiger des guides techniques d’entretien et de restauration, un projet de Mark London, architecte et urbaniste qui dirigeait Héritage Montréal à l’époque sous la présidence de Phyllis Lambert qui l’avait fondé en 1975. Il avait élaboré ce projet avec l’aide du ministère des Affaires culturelles, comme on l’appelait alors. Les 20 semaines sont devenues un an puis deux puis trois et bientôt 39. Plus qu’une inspiration momentanée qui m’aurait amené à joindre l’équipe, c’est d’en être membre qui m’a constamment inspiré à y rester et grandir avec elle et sa mission.
- Quel est ton circuit préféré des ArchitecTours ?
Les ArchitecTours regorgent de circuits dont la bibliothèque s’enrichit constamment de nouvelles idées. C’est dire que j’en connais de moins en moins et c’est très bien. Par contre, de ceux que j’ai eu le plaisir d’animer au fil des ans, j’aime bien ces grandes déambulations dont celle de 2017 – les chemins des origines entre Pointe à Callière et le fleuve … à Verdun. Il y a aussi eu l’ArchitecTour présentant ces constructions invisibles mais autorisées au zonage – par exemple, ces tours qui ont surgi et qui font disparaître la gare Windsor aujourd’hui, ou celui des lobbys du centre-ville (ceux des bâtiments, bien entendu !).
- Quelles activités ou contenus aimerais-tu créer à Héritage Montréal ?
En lien avec mon poste de direction des politiques, je trouverais utile et stimulant de participer à la production d’un manifeste et d’une charte d’Héritage Montréal pour la protection, la mise en valeur, la réaffectation et l’enrichissement du patrimoine de notre métropole au XXIe siècle. Fondé sur notre histoire (qui reste à écrire) et nos réflexions, ce serait un très beau cadeau pour le 50e anniversaire de notre fondation, en 2025, et un pas en vue du 400e de Montréal en 2042. Alors qu’on voit se répandre des pratiques pleines de promesses comme la concertation ou l’usage transitoire, on voit aussi un manque de vision d’ensemble à long terme autant qu’une résurgence du façadisme. Un tel énoncé de principes dont nous serions les porteurs ne pourrait qu’aider Montréal à grandir sans perdre son âme.
J’aimerais bien aider à développer des activités qui mettent en lumière les différentes facettes de la géographie de la métropole. Sa géographie physique avec des ArchitecTours des chemins fondateurs de la région métropolitaine comme on l’a déjà essayé avec succès il y a des années, ou encore du fleuve et des plans d’eau ; par exemple, avec les navettes fluviales vers Pointe-aux-Trembles ou Châteauguay qui offrent des parcours fabuleux. Sa géographie sociale avec des ArchitecTours qui explorent les quartiers moins favorisés et leurs enjeux. Sa géographie humaine avec le patrimoine des communautés culturelles, connues et méconnues, et des activités dans une plus large gamme de langues, d’alphabets et d’accents (pourquoi pas en yiddish, en italien, en créole, en chinois, en espagnol, en arabe, en roumain, en russe, etc. ?). Sa géographie intellectuelle et culturelle avec des activités sur le patrimoine des idées, des sciences et des arts.
« Il est temps que Montréal se dote d’une véritable Maison du patrimoine. »
Dinu Bumbaru
Enfin, j’aimerais développer des activités autour des idées d’une ligue des cent dessins, de Crayons Montréal ou du patrimoine qui a bonne mine. Bref, dans la foulée du cri « Élevons le regard ! » lancé pour illustrer la mission d’Héritage Montréal à l’occasion de la mémorable Opération Pinte de lait en 2009, d’imaginer des activités, seul ou avec d’autres organisations comme les amateurs de croquis urbain – les Urban Sketchers tout particulièrement, les clubs de photographie, les écoles, les gens du multimédia ou les architectes, y compris du paysage, pour inviter à saisir les images qui définissent Montréal, ses quartiers et son patrimoine.
Par ailleurs, il est temps que Montréal se dote d’une véritable Maison du patrimoine digne de ce nom et surtout, de la métropole culturelle habitée que nous sommes. Héritage Montréal avait examiné l’idée d’en faire un projet exemplaire de sauvegarde et réaffectation d’un bâtiment patrimonial à l’instar de la maison Notman, mais a dû diriger ses énergies ailleurs. Sauvegarder le patrimoine bâti ne s’arrête pas à en empêcher, souvent à la dernière minute, la démolition ou à s’indigner lorsqu’il est trop tard. Mener à bien un tel projet demande des ressources et du temps. Alors que Montréal va mettre son plan d’urbanisme à jour, se donner une stratégie ambitieuse de transition écologique et un nouveau plan d’action pour son développement de métropole culturelle, on pourrait remettre de l’avant ce projet en s’assurant que des moyens conséquents soient accordés à Héritage Montréal pour passer de l’idée à l’acte. Si la désolante disparition de l’ancien atelier de monuments Berson sur Saint-Laurent, lieu d’une rare puissance évocatrice de notre métropole, remplacé par un projet résidentiel conforme, nous a privés d’un lieu très propice à ce projet, d’autres occasions se présenteront, j’en suis sûr.
Montréal et toi
- Quel est l’édifice que tu aimes le plus dans ton quartier ?
Dans mon quartier ? Il y a l’entrepôt Van Horne, sorte d’acropole en brique surmontée d’un château d’eau, et son voisin, le vieux clos de bois Villeneuve ou encore l’académie Querbes et le pavillon du parc Saint-Viateur sinon le parc lui-même, ou un peu plus loin la gare Jean-Talon, la bibliothèque Marc-Favreau ou le monastère Saint-Albert le Grand ou, un peu plus loin encore, le métro Lasalle. Car « mon » quartier n’est pas confiné à ce qu’on rejoint en 15 minutes à pied autour de chez soi. Il comprend aussi bien le mont Royal et ses cimetières paysages que le Vieux Montréal qui est le quartier fondateur sans lequel mon quartier n’existerait pas et où se trouve – entre beaucoup d’autres ! le Vieux Séminaire, les anciennes HEC et la merveilleuse quincaillerie baroque Caverhill Learmont en pierre grise, rue Saint-Pierre. Il comprend aussi le centre-ville avec son axe Nord-Sud et la très belle Gare centrale, intérieure et extérieure.
- Quel a été ton dernier coup de cœur pour un bâtiment/paysage à Montréal ?
L’intérieur intact de la tour de Ravenscrag, Les Forges de Montréal lors de la Nuit blanche 2020, la minoterie de l’enseigne Farine Five Roses et les églises de Roger D’Astous – Saint-Maurice de Duvernay, Saint-René Goupil à Saint-Léonard, Notre-Dame du Bel-Amour à Cartierville et Saint-Jean-Vianney à Rosemont.
- Quel immeuble ou paysage représente pour toi le mieux Montréal ?
Le panorama que l’on a depuis le pont Jacques-Cartier est assez imbattable avec le fleuve, l’ancienne brasserie Molson, le Vieux Montréal, le mont Royal, le centre-ville et le Stade. Celui du haut du Silo 5 l’est encore bien davantage mais il est moins public.
Je pense aussi à des parcours comme ceux du canal Lachine, des circuits d’autobus 80, 55, 24 ou 107 ou encore la navette fluviale vers l’Est.
Par contre, il m’est difficile de voir Montréal à travers un seul bâtiment sinon, peut-être, le Grand Séminaire et l’Hôtel-Dieu avec leurs sites et leurs cryptes chargés d’histoires, le triplex typique, le Monument National, le Grand Chalet du mont Royal ou Habitat 67.
La ville, l’ailleurs
- Pour toi quels sont les enjeux actuels de la ville ?
Outre la révolution numérique en cours, il me semble que nous aurons à composer avec trois grands bouleversements qui vont changer les rapports entre les sociétés humaines, leurs gouvernements nationaux et leur territoire, voire la reconnaissance et la conservation de leur patrimoine. Il s’agit de la crise climatique, de la montée de l’urbanisation et des métropoles ainsi que de la prise de paroles des oubliés, notamment les peuples autochtones et certains groupes sociaux ou culturels.
Comme enjeux, je verrais l’habitabilité y compris l’abordabilité pour tous, la primauté de l’urbanité comme valeur collective sur l’économie et les intérêts particuliers, qu’ils soient financiers, politiques ou communautaires, la sécurité alimentaire autant que physique, et la question des centres-villes, surtout après la montée du commerce virtuel et la pandémie.
Il y a aussi urgence de mieux encadrer des notions valables mais qui, lorsqu’elles sont presque érigées en dogmes incontestables parce que quantifiables, et qu’elles sont dénuées de toute considération qualitative voire humaine, peuvent être aussi désastreuses que certaines des « bonnes idées » du progrès des années 1950 ou 1970 ; par exemple, la densification ou les infrastructures de mobilité.
Enfin, il faut relever avec talent le défi de la requalification et réaffectation de l’existant, en particulier les ensembles institutionnels patrimoniaux ou les artères commerciales, pour éviter de tomber dans la paresse façadiste. Tout ne peut être transformé en condos avec ou sans logement abordable, ou démoli pour créer des parcs de stationnement ou de verdure.
- Comment vois-tu la ville du futur ? La ville idéale ?
Le grand risque devant nous est de voir la ville du futur comme un collage de bonnes idées ou d’infrastructures centrées sur les besoins actuels, qu’il s’agisse de logements sociaux, de pistes cyclables ou d’équipements de transport collectif, sans vision d’ensemble digne du territoire, de la société et du temps. Il ne faut pas confondre une telle vision avec l’accumulation d’études, de projets ou de documents politiques, réglementaires ou administratifs.
À notre époque qui a vu Vancouver et Copenhague devenir, après Barcelone, des villes star, voire des verbes alors qu’on veut « copenhaguiser » Montréal, on risque de refaire, avec des intentions et des justifications plus actuelles, les erreurs du passé ou de faire celles, comme ce projet d’autostrade sur pilotis sur la rue de la Commune, qu’on a eu jadis la sagesse courageuse d’éviter.
La ville future que je souhaiterais ferait la part des choses entre le data, les projets à la mode et l’âme qui lui est propre et qui tient tant à son site qu’à sa citoyenneté et sa mémoire vivante. Elle veillerait à son humanité conviviale au quotidien tout en assurant son urbanité authentique de métropole en lien avec les autres nations du monde. Elle donnerait aux gens de partout envie et moyen d’y venir s’y installer pour donner à leurs enfants, sa citoyenneté en héritage.
- Quel est ton top 3 des villes à visiter (en dehors de Montréal) ? As-tu des recommandations en particulier ?
- Chicago avec la Chicago Architecture Foundation dont les programmes d’exploration et de visite urbaine ont inspiré Sauvons Montréal à lancer les ateliers mobiles en 1974, ancêtres des ArchitecTours. Et puis, Chicago est aussi une ville qui connaît l’hiver et son froid.
- Dakar et Saint-Louis du Sénégal qui offrent un autre couple de villes à la Montréal-Québec.
- Buenos Aires.
Recommandation : essayer de prendre les transports collectifs.
- Si tu devais vivre dans une ville autre que Montréal, ce serait laquelle et pourquoi ?
Rome, parce que c’est Rome.
Istanbul ou Johannesburg car ce sont des métropoles dont la géographie et l’histoire ont laissé de grandes gloires dorées mais aussi de profondes fractures physiques ou sociales qu’elles œuvrent à transcender.
New York parce que ce n’est pas très loin de Montréal ????
Le patrimoine et toi
- Quel est ton premier souvenir relié à l’architecture ou au patrimoine ?
Dans les années 1970, la maison et la grange de la ferme familiale de Sainte-Sophie dans les Laurentides et, en Roumanie, le musée du village de Bucarest et la maison de mes aïeux à Craiova, avec ses belles boiseries bordées d’entrelacs géométriques reprenant les motifs populaires.
La villa des Bosquets à Grande-Rivière, près du magasin Robin avec ses grands arbres et son salon au décor victorien plein de souvenirs des familles de Jersey venues en Gaspésie.
À Montréal, le vieux clos de bois Villeneuve et la grande nef de son hangar.
De notre voyage en famille en Europe, le Trocadéro et Saint-Pierre de Rome, lieux impressionnants par leur architecture et la foule qui les anime.
Surtout, le balcon de mon enfance, dans une conciergerie de l’avenue Bloomfield que l’on quitta juste avant les Olympiques. C’était notre poste de guet sur les voisins, la rue et son monde, dont le propriétaire a fait remplacer la balustrade bien dessinée en bois solide, par une nouvelle plutôt quelconque en tiges de fer maigrichonnes.
- Si tu étais un architecte, qui serais-tu ?
Architecte ? Pourquoi pas jardinier ?
Longtemps ignorés dans une certaine indifférence, les noms des architectes trouvent de plus en plus de reconnaissance publique dans notre société, notamment ceux des praticiens contemporains alors que ceux des bâtiments plus anciens demeurent encore largement oubliés. C’est une bonne chose car une société ne se bâtit pas sans architectes, ingénieurs, urbanistes, jardiniers ni artisans de talent. L’architecture de qualité, celle bien conçue, bien réalisée et bien utilisée, celle qu’on aime fréquenter et qu’on veut voir durer plutôt que d’endurer avec résignation en attendant mieux, ça ne tombe pas du ciel !
Avec cette reconnaissance publique vient aussi une responsabilité. Par l’architecture qui définit l’espace de tout le monde autant sinon plus que le lieu agréable dont bénéficient ses usagers, l’architecte sert la société même quand celle-ci lui est ingrate.
Qui étaient les architectes de la première hutte en terre, du premier iglou et du premier triplex montréalais, du Panthéon de Rome, de la magnifique Sainte-Sophie à Constantinople ou de ces chefs- d’œuvre japonais de charpente et de menuiserie ? Les recherches permettront sans doute de répondre à plusieurs de ces questions.
« Ce qui m’intéresse bien davantage que la personne (ou l’orchestre) qui serait l’auteur d’un édifice, c’est ce qui le rend digne et utile au lieu où il s’installe et ce qui le rend heureux par sa forme et sa matière. »
Dinu bumbaru
Il y a bien sûr des architectes dont je trouve le parcours, la pensée et la production remarquables et inspirants – Victor Bourgeau, John Ostell, Percy Nobbs, Ernest Cormier, Roger D’Astous ou Ray Affleck qui ont marqué Montréal, ou Frank Lloyd Wright, Oscar Niemeyer et Le Corbusier qui ont résonné par le monde. Mais ces noms, disparus depuis longtemps comme ceux de tant d’autres architectes anonymes, et leurs clients, ces acteurs essentiels, continuent de vivre par ces constructions ou cet art de bâtir qui nous entoure et nous émeut.
Même si je ne serai vraisemblablement jamais architecte de titre, j’aurais aimé être l’architecte d’un bâtiment qui soit digne du territoire qui l’accueille, qui puisse bien affronter le temps et que les sociétés futures, prochaines ou lointaines, même si l’usure l’aura transformé en belle ruine, aimeront.
- As-tu un livre d’architecture, d’histoire, d’urbanisme ou de patrimoine à conseiller ?
Architecture – Description et vocabulaire méthodiques par Jean-Marie Pérouse de Montclos, est un vaste glossaire illustré paru d’abord en 1972 puis réédité plusieurs fois, enrichi depuis par les Éditions du Patrimoine, en France. Même si l’ouvrage et son langage sont un peu arides et surtout, très franco-français – c’était un document du gouvernement à l’origine, se promener dans ce jardin de mots est toujours un grand plaisir. Cela rappelle que notre patrimoine et notre architecture ont aussi leurs mots et mériteraient leur dictionnaire illustré. En français, d’abord bien entendu, mais aussi dans les langues autochtones ou dans celles d’autres gens qui ont bâti Montréal comme ces architectes anglais, américains ou d’Europe de l’est, ces maçons écossais ou italiens et les artisans de nombreuses origines.
Architecture for beginners par Louis Hellman, publié en 1988 offre un panorama ironiquement sérieux de l’architecture et des architectes, des anciens temps à l’époque moderne (post-moderne pour être plus précis). Avec le Prince de Machiavel, ce livre m’accompagnait lors de la bataille pour sauver l’Hôtel-Dieu en 1992.
The Seven Lamps of Architecture, par John Ruskin publié en 1849, qui, malgré un langage d’époque, porte en lui des idées très actuelles comme celle d’une responsabilité de l’architecture envers les prochaines générations, principe fondamental d’un développement durable. “Therefore, when we built, let us think that we build forever. Let it not be for present delight, nor for present use alone; let it be such work that our descendants will thank us for…”. Il convient de lire Ruskin, cet historien de l’art et écrivain, en pensant à cette époque aujourd’hui moins appréciée alors qu’on s’intéresse davantage à la modernité récente d’après 1940. Marquée par l’industrialisation et un colonialisme triomphant, tous deux indifférents aux dégâts qu’ils causaient, cette époque – le XIXe – a vu naître des débats sur le patrimoine, sa sauvegarde et sa restauration mais aussi sur le développement de villes avec des logements et des quartiers salubres, des réseaux d’aqueduc et d’égout fiable, des transports publics et des parcs pour toutes les classes de la société. Le lire aussi en ayant en tête ses contemporains comme les français Eugène Viollet-le-Duc, architecte de grands chantiers dont la cathédrale Notre-Dame de Paris, et Victor Hugo, dont la plume a écrit Guerre aux démolisseurs en 1832, et fait de magnifiques dessins, ou encore Frederick Law Olsmted et son remarquable Mount Royal, publié à compte d’auteur en 1881, qui explique la raison d’être et le mode d’emploi du parc qu’il nous a dessiné.
Et il faudrait quelques bandes dessinées comme les collections de Tintin, les Cités obscures ou Paul de Michel Rabagliati, ainsi que certains Spirou et Fantasio ou Valérian et Laureline, qui font de l’architecture un personnage bien présent mais qu’on oublie trop souvent de remarquer, un peu comme dans nombres de romans ou de films; par exemple, les écrits de Michel Tremblay ou encore l’émission Sol et Gobelet.
- As-tu un film sur l’architecture, l’histoire, l’urbanisme ou le patrimoine à conseiller ?
Un seul ? Difficile de choisir.
D’emblée, je suggérerais les très américains Mr Blandings builds his Deam House (1948) et The Fountainhead (1949), le classique français Playtime de Jacques Tati (1967), l’anglo-romain The belly of an architect de Peter Greenaway (1987), le franco-futuriste 5e élément (1997), le très merveilleusement montréalais films de l’ONF La mémoire des anges de Luc Bourdon (2008). Mais je commencerais par l’édifiant documentaire Rêveuses de ville de Joseph Hillel qui présente quatre femmes architectes dont Phyllis Lambert et Blanche Lemco Van Ginkel à qui Montréal et son patrimoine doivent tant.
- Et enfin, dis-nous quelque chose sur toi que tes collègues d’HM ne savent pas ????
Malgré la recommandation insistante d’un architecte venu nous présenter son métier lors du salon des carrières à la fin de notre collégial, je n’ai jamais appris ni joué au golf. ????
5 commentaires
Quelle belle évocation de ton parcours, cher Dinu! Un parcours que ton charisme a rendu redoutablement efficace, faisant de toi un acteur indispensable (ça sonne mieux qu’incontournable) sur la scène montréalaise et à l’échelle planétaire. Un charisme dont j’ai longtemps essayé de qualifier le caractère unique, pour finalement en retenir qu’il est un brin espiègle… Espiègle dans ce look qui ne change pas au fil des décennies, même assorti de l’épinglette de l’Ordre du canada, espiègle dans le discours, fût-ce en conférence universitaire, au téléjournal ou devant les commissaires de l’OCPM, espiègle durant les promenades d’un ArchitecTour, etc. On te souhaite et on se souhaite de nombreuses années à échanger encore sur Montréal, sur le génie du lieu et sur les défis incessants que pose sa pérennisation.
Merci beaucoup pour votre message, nous le transférons à Dinu!
Bonjour Monsieur dinu-bumbaru
Je ne pense pas que vous vous souveniez de moi et de la fermeture du restaurant le 9e chez Eaton à Montréal.
En lisant le journal le Devoir, quelle fut ma surprise d’y voir la possible ¨ résurrection ¨
de ce beau et grand restaurant que j’ai
eu l’honneur de diriger avec ma formidable équipe. Sachant que vous toujours chez Héritage Montréal, je ne doute pas que
vous serez informé de l’évolution de ce dossier.
Merci donc de le suivre pour tous ceux qui ont aimé cette grande salle ¨Ile de France ¨¨
Gérard Robert Jégo
Ancien directeur des services alimentaires Eaton Est Canada
Fascinante lecture. Et merci pour les recommandations, Dinu. Encore tant à découvrir sur Montréal, l’architecture, les architectes…
Istanbul, Chicago, Jo’Burg, New York: on a le même palmarès! Et je note la même absence de Paris. ????
La bibliothèque sur St-Denis, encore à l’abandon, ne pourrait-elle pas être le « Musée du patrimoine montréalais » ou « Héritage Montréal » ?