Dans le cadre des Journées de la Culture, Héritage Montréal met à l’honneur les artisans qui œuvrent chaque jour à la préservation et la restauration du patrimoine montréalais. Découvrez ici l’entrevue de l’artisan-peintre en arts décoratifs, Marie-France Kech.
Quel est votre métier et en quoi consiste-t-il?
Je suis artisan en peinture décorative, de l’ancienne tradition des peintres décorateurs en Europe. Ce sont des artistes-artisans qui s’occupent de la finition décorative, toujours en lien avec l’architecture, dans des intérieurs ou des extérieurs. Les techniques décoratives sont variées: la peinture, la dorure, l’imitation de textures ou de matériaux nobles (faux bois, faux marbre, fausses pierres précieuses), le trompe-l’œil, les pochoirs. Il peut aussi y avoir des paysages ou des personnages. De mon côté, je me suis spécialisée dans la restauration de ce métier-là.
Comment est venue cette vocation? Comment avez-vous appris votre métier?
J’ai étudié en arts à l’Académie des Beaux-Arts en Belgique. J’ai suivi des ateliers avec des artisans pour apprendre les techniques anciennes. J’ai obtenu une bourse de la Fondation Roi Baudoin qui aide des artisans à se spécialiser dans la conservation de leur métier lié au patrimoine architectural et ainsi, j’ai pu me spécialiser en restauration en France à l’École supérieure d’art d’Avignon, aux ateliers du Beaucet et en Haute-Loire.
Quelles sont les qualités à avoir pour votre métier?
Beaucoup de patience. Une grande capacité d’adaptation. Il faut s’adapter au lieu, aux contraintes physiques mais aussi aux équipes qui travaillent autour du décor à restaurer. Il y a une notion de respect, de ce que l’on restaure, de l’histoire, de la matière, de la technique, des règles de déontologie de la restauration. Il faut s’oublier pour se mettre au service de l’histoire. L’humilité est importante pour reconnaître ses limites et se retirer si on n’est pas capable ou aller chercher de l’aide.
Quelle est la particularité de votre métier en contexte montréalais ?
À Montréal, la peinture décorative est très présente dans les bâtiments institutionnels et religieux. Il y a de nombreuses influences, françaises, italiennes et allemandes dans les églises, plus britanniques et américaines dans les bâtiments institutionnels.
Les premiers artisans viennent d’Europe mais rapidement une tradition de peinture décorative québécoise apparaît avec des peintres comme Napoléon Bourassa ou François-Édouard Meloche. Il y a aussi Emmanuel Briffa qui a beaucoup travaillé dans les théâtres. On retrouve beaucoup de pochoirs, de dorures, des trompe-l’œil assez simples, des jeux de filets, d’ombres et de lumières. Les techniques, les procédés, et les matériaux viennent souvent d’Europe mais ont été adaptés. Un des enjeux en restauration est de trouver aujourd’hui les matériaux, les pigments ou même les outils qui permettent de reproduire les techniques anciennes.
Imitation peinte de bronze patiné, Collège du Mont-St-Louis, Marie-France Kech Imitation peinte de faux marbre, Bain Morgan, MArie-France Kech
Les artisans ont un rôle très important car ils ont une expertise d’anciens métiers issus de l’histoire architecturale et accompagnent souvent les gestionnaires qui sont moins au fait des pratiques des métiers et savoir-faire en restauration architecturale. Globalement, on recherche un visuel plus fini, on peut aller plus loin dans la restitution. Mais les règles de base sont respectées : constater les problèmes et lacunes, les stabiliser et procéder à des interventions minimales pour ne pas détruire ce qui existe, conserver au maximum les visuels d’origine et utiliser des procédés réversibles qui peuvent être enlevés pour que la restauration puisse être remise en question plus tard.
Comment se déroule un chantier type? Quelles sont les étapes?
Avant de commencer, il y a toute une période de pré-chantier qui est très importante. Je discute avec le client pour comprendre les besoins, les délais, les budgets et particularités du projet. Ensuite, j’analyse le lieu, le décor, les techniques et les matériaux utilisés. S’ensuit une période de recherches et de préparation en atelier où je fais des tests et je crée des échantillons. Avec toutes ces informations, je monte un dossier qui documentera le projet et mon intervention. C’est très important. À partir de ce travail, je commande les matériaux et les outils nécessaires.
Enfin, j’arrive sur le chantier. Je protège autour de la zone de travail. Je prépare le terrain et l’espace. Et puis ensuite, viennent les étapes concrètes de la restauration : préparation du support, stabilisation, remise à niveau, restitutions ou restauration des finis décoratifs . Je termine les finitions avec les patines et vernis de protection.
Pouvez-vous nous raconter votre premier chantier?
J’ai travaillé à la co-cathédrale Saint-Antoine-de-Padoue à Longueuil avec une imitation de marbre sur les bases des colonnes, qui devait s’intégrer à celle existante. Je me souviens aussi de l’Édifice Bell sur la côte du Beaver Hall, où il y a un décor des années 1930 avec des soleils qui étaient très sales et que je devais nettoyer et retoucher.
Le chantier dont vous êtes la plus fière?
La Cour d’appel du Québec, l’édifice Ernest Cormier dans le Vieux Montréal. Dans la salle Cusson, il y a des plafonds merveilleux avec des ornements en plâtre peints et dorés avec énormément de patines, des textures, de glacis, de couleurs, de motifs et de pochoirs. Le décor d’origine a été peint par une équipe d’artisans peintres-décorateurs de New York en trois semaines! Nous, il nous a fallu trois mois pour le restaurer avec une équipe.
C’était un contexte très chouette car j’ai porté le projet de A à Z avec une équipe d’une dizaine de personnes et on nous a fait confiance. Il y avait une partie très abîmée par des infiltrations d’eau. Il a donc fallu nettoyer, stabiliser et consolider avant des restaurer les peintures et les dorures. L’objectif était de ramener le décor à l’original.
Le patrimoine c’est une histoire, une culture, des métiers, des visuels, des bâtiments. Ce sont les racines d’une population, des fondements et des bases importantes.
Marie-France Kech
Quels sont les enjeux/défis quand on travaille dans le patrimoine à Montréal?
Les Montréalais n’ont pas toujours conscience de la richesse de leur patrimoine. En Europe, le patrimoine est omniprésent. Ici, il faut le chercher, il est dans certains détails, entouré de bâtiments plus modernes. Si on ne le sait pas, on ne le voit pas toujours. C’est un défi à travailler. Il faudrait peut-être que le patrimoine architectural et ses savoir-faire, ses métiers soit plus présent dans les cours d’histoire dès le plus jeune âge, à l’école.
On pourrait faire le même constat dans le domaine de la construction. C’est comme si on avait voulu aller trop vite, rentrer dans la modernité à tout prix. Nos métiers existaient, il y avait des peintres décorateurs québécois mais tranquillement avec la modernité, ces métiers et leurs savoirs-faires disparaissent. Et aujourd’hui quand on doit restaurer un décor, peu d’artisans ont cette expertise.
De plus, la culture de la construction est très forte au Québec avec des standards de productivité et d’efficacité qui s’adaptent mal à une approche patrimoniale qui demande parfois du temps. Il y a une certaine méconnaissance des métiers du patrimoine. On m’approche souvent comme si j’étais un peintre en bâtiment. Le CMAQ nous aide sur ce point pour faire reconnaître la place des artisans sur les chantiers.
Sur quel bâtiment montréalais vous aimeriez travailler?
Sur le décor intérieur de la basilique Notre-Dame. Il illustre l’histoire du décor peint au Québec. C’est très riche dans les particularités techniques et des métiers d’ici. Les premiers peintres venaient d’Italie. Ils ont adapté leur technique pour être selon les besoins, attentes les délais d’ici et les moyens parfois moins grands qu’en Europe. Pour la basilique Notre-Dame, ils se sont inspirés des décors néo-gothiques et ont travaillé la vivacité des couleurs.
Intégrez-vous dans votre pratique de nouveaux éléments en lien avec le développement durable?
L’artisan s’est toujours inscrit dans la durabilité et dans le local aussi. Les métiers et les techniques se sont toujours adaptés à l’environnement de l’artisan. Il utilisait les matériaux qu’il trouvait sur place. En Belgique, on retrouve des techniques à la bière par exemple. Ici, il y a des peintures au lait. Il y a peu de documentation à ce sujet. Ce serait intéressant de faire des recherches sur les matériaux, les pigments et les recettes développés ici. C’est un sujet que j’aimerais développer à l’avenir aussi.
Quel seront les défis, enjeux, opportunités pour la pratique de votre métier au 21e siècle?
Le plus gros enjeu, c’est la relève. Aujourd’hui, les peintres décorateurs sont souvent des femmes, entre 45 et 60 ans. Il n’y a pas beaucoup de jeunes. Il n’y a pas vraiment de formation non plus. Il y a beaucoup d’autodidactes qui se forment en Europe ou dans des ateliers ponctuels. C’est un autre défi sur lequel travaille le CMAQ qui développe des formations.
Il faut vraiment prendre cette notion en réflexion et le risque de disparition de mon métier. Il y a quelques années, lors d’un projet, je me suis fait remplacée par des procédés moins coûteux comme des reproductions photographiques que l’on applique sur les décors. Imaginez! Comment rester? Comment confirmer l’importance de notre expertise sans le bâti patrimonial? Faut-il accepter de disparaître dans la réalisation pour s’investir davantage dans la documentation du métier et la formation? Comment appuyer nos réalisations par des actions de promotion et d’éducation? Ce sont des questions que je me pose.
Pour terminer, si vous deviez décrire votre métier avec une odeur?
La cire d’abeille ou le savon de Marseille
Une texture?
Le velouté et la douceur des peintures anciennes. Les peintures sont faites d’un liant, d’une charge et des pigments. Les procédés très anciens sont très chargés. On peut les polir et les rendre très doux au toucher.
Une couleur?
Le jaune comme l’or
Un bruit?
Le chant de la mixtion à l’huile prête à recevoir la feuille d’or dite ‘amoureuse’ car elle est assez collante et elle chante sous nos doigts.
Retrouvez un autre portrait, celui du tailleur de pierre Alexandre Maquet, en cliquant ici.