Dans le cadre des Journées de la Culture, Héritage Montréal met à l’honneur les artisans qui œuvrent chaque jour à la préservation et la restauration du patrimoine montréalais. Découvrez ici l’entrevue du tailleur de pierre, Alexandre Maquet.
En quoi consiste votre métier?
Je suis tailleur de pierre. Mon métier consiste à façonner la pierre naturelle pour en faire des éléments de décoration intérieure comme des éviers ou des manteaux de cheminée ou des éléments architecturaux que l’on intègre à la bâtisse.
Comment est venue cette vocation et comment avez-vous appris votre métier?
Mon grand-père restaurait des cheminées en pierre. Il ne faisait pas que de la taille de pierre mais ça faisait partie des choses qu’il savait faire. Ensuite j’ai rencontré des tailleurs de pierre et ça m’a plu. J’ai fait quatre ans de formation en France dont une partie en alternance, je faisais deux semaines à l’école et deux semaines sur les chantiers. J’ai eu la chance de travailler avec un maître d’apprentissage, à Paris, sur des gros chantiers de restauration patrimoniale comme le Panthéon ou le Louvre.
Quelles sont les qualités à avoir pour votre métier?
Avoir une bonne vision des choses en trois dimensions. De la patience. Tailler une pierre prend du temps, il faut respecter toutes les étapes pour arriver à un bon résultat. De la minutie. Le sens de la géométrie. Un intérêt pour l’histoire de l’art, surtout lorsqu’on fait de la restauration patrimoniale. Et de la curiosité.
Quelle est la particularité de votre métier dans le contexte montréalais et québécois?
Les tailleurs de pierre québécois ont des parcours très différents, certains viennent de l’ébénisterie, d’autres ont été formés dans des écoles de sculpture ou travaillaient sur les chantiers. C’est très enrichissant de côtoyer ces profils et ces parcours différents.
La pratique est moins cloisonnée. Il y a des possibilités différentes qu’en Europe. Sur un chantier comme le Louvre, je n’aurais jamais pu toucher aux sculptures. C’est le travail des sculpteurs. Ici, c’est différent. Souvent, on nous appelle les sculpteurs sur les chantiers. J’ai suivi des formations pour pouvoir intégrer ce type de travail à ma pratique.
Une autre particularité à Montréal, c’est la grande variété des styles architecturaux et des techniques, parfois très spécifiques. Les premiers tailleurs de pierre venaient d’Europe, des Français, des Écossais, des Anglais, des Italiens. Chaque communauté avait sa façon de travailler les pierres, ses techniques de finition. Un fois, je travaillais sur une pierre avec une finition que je n’avais jamais vue. Un ami nous a expliqué que c’était une technique typique d’une région en Angleterre.
Au niveau des matériaux, on trouve toute sorte de pierres, des granits, des calcaires, des pierres très tendres, comme le grès. La pierre grise se travaille très bien. Le défi, c’est parfois de trouver la bonne pierre avec la bonne couleur. Pour la pierre grise, il y a une carrière à Saint-Jacques-le-Mineur ou l’on retrouve le même style de pierre.
Comment se déroule un chantier type? Quelles sont les étapes?
Je commence par observer la façade, le style, le type de pierres et la finition. Je prends les mesures pour dessiner des plans d’atelier de chaque pierre. J’établis une feuille de débit qui décrit toutes les dimensions du « bloc capable », c’est-à-dire la pierre qui contient la pièce à tailler. Le fournisseur de pierre m’envoie la pierre et je la taille. Je l’envoie sur le chantier et le maçon la pose.
Le chantier dont vous êtes le plus fier?
J’ai fait des belles pièces pour l’ancien Palais de Justice de Montréal, l’édifice Lucien-Saulnier, le Parlement. À l’Assemblée nationale, je taillais les pierres sur place, au pied de l’échafaudage. Quand je passe devant une bâtisse, je suis fier de voir une pierre que j’ai faite et qui va être là pour longtemps.
Un chantier qui vous a donné du fil à retordre?
Tous! Je me souviens d’un escalier à New York en pierre massif, autoportant qui tournait. Un vrai défi technique!
En restauration, le défi est souvent de trouver la bonne pierre et surtout de lui donner la bonne finition. C’est cette dernière étape qui donne la bonne couleur. Si la finition est différente, on le voit tout de suite car la pierre n’accroche pas la lumière de la même façon.
Sur quel bâtiment montréalais vous aimeriez travailler?
Tous! Il y en a beaucoup qui mériterait une restauration mais je dirais la station de pompage Craig. Il y a de belles pierres, les armoiries de la ville. J’aimerai le restaurer.
Intégrez-vous dans votre pratique de nouveaux éléments en lien avec le développement durable?
La pierre, c’est très durable comme matériaux. Quand on change une pierre, ça va durer cent ans. Il n’y a pas d’obsolescence programmée dans notre pratique.
Mais les pratiques évoluent quand même avec ces nouveaux paramètres. Par exemple, on utilise beaucoup d’eau pour couper la pierre. Maintenant on installe des bassins de décantation pour pouvoir réutiliser l’eau. On essaye d’utiliser les retailles, les chutes et les gravats, pour faire de la pierre concassée par exemple.
Les outils évoluent aussi. Certains outils sont munis de pointe en carbure de tungstène pour tailler des pierres dures. Quand la pointe casse, l’outil est fini. Aujourd’hui on revient avec des outils plus anciens, que l’on peut réparer, reforger.
Le patrimoine, c’est comme une bibliothèque à ciel ouvert qui nous raconte les façons de faire, l’histoire, qui nous donne des références pour pouvoir créer autre chose.
Alexandre Maquet
Quel seront les défis, enjeux, opportunités pour la pratique de votre métier au 21e siècle?
Un des gros enjeux, c’est la formation de la relève. Actuellement, il y a une formation de base à Mégantic mais il n’y a pas de suivi après. Je donne parfois des formations dans des maçonneries qui font de la restauration. Les participants n’ont aucune idée de ce qu’ils vont y apprendre, ils pensent que c’est facile. Le métier de tailleur de pierre est pour eux un métier disparu, le métier de leur grand-père. Je travaille avec le CMAQ pour mettre en place des formations et mieux faire connaître ma pratique.
Un autre enjeu, c’est la numérisation du métier. Aujourd’hui, il y a des robots qui scannent les pierres et qui sont capables de les reproduire. Mais ils ont des limites. J’ai déjà vu ce type de machine scanner un appui de fenêtre en pierre et la moulure en bois de la fenêtre. Elle a reproduit les deux en pierre! Ce sont des bons outils mais ils ne peuvent pas remplacer le tailleur de pierre. Ce n’est pas parce que vous avez un bon four que vous êtes un bon cuisinier. On peut les utiliser pour les dessins techniques, faire le gros du travail mais il faut préserver et perpétuer la culture des métiers.
Pour terminer, si vous deviez décrire votre métier avec une odeur?
Le calcaire un peu humide, une odeur minérale bien typique.
Un bruit?
Le bruit d’un gros bloc qui se fend en 2. On tape sur des coins. Petit à petit, le son change et tout d’un coup, il y a un claquement sourd quand la pierre ouvre.
Une texture?
Une multitude de textures! A Montréal, le bouchardage.
Une couleur?
Le gris, le bleu qui va jusqu’au noir de la pierre de Montréal qui est grise quand on l’extrait et qui devient noire lorsqu’elle est polie.
Rencontrez Alexandre Maquet, Grand prix de l’Opération patrimoine dans la catégorie Savoir-faire dans la vidéo ci-dessous.