Pour la troisième édition de son concours d’idéation, Héritage Montréal, propose de faire œuvrer la relève sur les défis et les opportunités que représente l’identité urbaine et paysagère de son patrimoine industriel. Disposant de dix jours, du 5 au 15 septembre 2024, la relève s’est confrontée à non pas un, mais deux sites proposés dans cette mouture du concours afin de raviver la flamme des incinérateurs des Carrières et Dickson.
Brûler d’envie… et de déchets !
Le mode de vie urbain, au foyer ou à l’usine, entraîne une production de déchets avec laquelle les sociétés industrielles doivent faire face. L’incinération des déchets ménagers est une pratique qui remonte à la fin du 19e siècle dans les villes occidentales : Montréal, en plein essor industriel, prend la tendance au bond et érige plusieurs incinérateurs.
L’incinérateur Dickson est construit dans les années 1950 et représente la seconde génération d’incinérateurs municipaux, qui figurait parmi les plus modernes d’Amérique du Nord à l’époque de son inauguration. Exemple de l’architecture fonctionnaliste du mouvement moderne chapeautée par le Bureau de l’architecte de la Ville de Montréal Donat Beaupré, l’édifice s’est vu contraint de cesser ces activités en 1978 en réaction aux pressions des mouvements écologistes et citoyens.
L’incinérateur des Carrières, construit en 1970 pour remplacer et moderniser l’ancien incinérateur sur le site datant des années 1930, représente la dernière génération de ce type d’infrastructure industrielle. Avec ses cheminées monumentales de 78 mètres de hauteur et ses volumes en béton brut, l’édifice est l’un des plus grands au monde au moment de son inauguration et ne passe pas inaperçu dans le paysage montréalais. C’est pourtant en 1993, à cause d’un manque d’entretien, de contraintes budgétaires et d’un changement de mentalité urbaine vis-à-vis de la pollution émise par l’incinérateur, que ce dernier ferme.
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Tous deux victimes de l’éveil des consciences environnementales, ces équipements qui étaient à l’origine des symboles de l’hygiénisme et du gigantisme se sont mués en ruines urbaines. Dans ce contexte, les équipes de la relève ont été appelées à requalifier et réinterpréter ces lieux riches d’une vocation industrielle à la portée quotidienne de la gestion des déchets.
Engouement auprès de la relève
Il s’agit de la première édition du concours où non pas un, mais deux sites d’interventions sont proposés aux équipes, lesquelles ont le loisir de concentrer leurs efforts sur l’un ou l’autre tout en trouvant une ligne directrice conceptuelle qui peut rejoindre l’intérêt de chaque site. Alors, pourquoi avoir choisi deux incinérateurs pour ce troisième concours d’idéation ?
Clarence Hatton-Proulx, Membre du Comité Relève d’Héritage Montréal
« Du temps où Montréal était la métropole industrielle du Canada, les cheminées d’usines s’y comptaient par centaines. Si la plupart ont disparu aujourd’hui, les incinérateurs des Carrières et Dickson, utilisés pour brûler des déchets ménagers, nous rappellent cette histoire particulière. Par leur volume imposant et leur matérialité brute, ils représentent un précieux potentiel de requalification, à l’heure de la raréfaction de l’espace en ville et des appels à réutiliser l’existant. »
Plus de quarante personnes ont participé à la visite de l’incinérateur des Carrières le 6 septembre 2024. Animée par Jean Laberge, architecte à la Division du patrimoine de la Ville de Montréal, et Clarence Hatton-Proulx, membre du Comité de la relève, la visite a porté sur l’historique du site ainsi que son intérêt patrimonial.
Jean Laberge, architecte à la Division du patrimoine de la Ville de Montréal
« J’ai été impressionné par la quarantaine de personnes présentes lors de la présentation. L’intérêt était palpable. J’ai beaucoup aimé participer avec les membres passionnés du Comité de la relève d’Héritage Montréal et impressionné par la profondeur de leur connaissance des différents aspects de ces dossiers. »
![Clarence Hatton-Proulx, membre du Comité de la Relève, présentant l’historique de l’incinérateur des Carrières accompagné de Jean Laberge, architecte à la Ville de Montréal.](https://blog.heritagemontreal.org/wp-content/uploads/2024/10/3e_charrette_heritage_montreal_incinerateur_des_carrieres_1-800x602.jpg)
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Avec un total de 24 projets déposés, l’édition de cette année comble le Comité de la relève d’Héritage Montréal de par le fort engouement de la relève à visiter l’une des icônes du passé et par son désir d’insuffler un nouveau caractère à ces monuments industriels. La délibération des membres du jury a suscité une discussion passionnée afin de sélectionner les propositions gagnantes.
Voici les 24 projets déposés
Pour visualiser les planches en plein écran, cliquez sur l’icône située à droite de la visionneuse. Vous avez également la possibilité de télécharger le PDF en mode plein écran.
Attribution des prix
Premier prix du jury — Contes de ce qui persiste
Philippe Tremblay et Maude Lefebvre
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Contes de ce qui persiste propose de repenser le réseau de gestion des déchets de la Ville de Montréal en faisant dialoguer trois sites importants. L’incinérateur des Carrières devient un centre de formation en traitement des déchets, accompagné d’un réseau de chaleur et d’un parc urbain sur son toit. L’incinérateur Dickson est un dépôt à neige qui alimente un réseau de fraîcheur. La carrière Francon est reconvertie en parc urbain.
Commentaire du jury
« Le jury souligne l’inventivité de la proposition qui concilie une approche ancrée dans la réalité du lieu et de son contexte tout en incorporant une trame narrative de récits colorés, ce qui contribue à l’aspect évocateur de la proposition. La variété des récits dépeignant un quotidien vécu par divers usagers expose une réflexion sociale achevée à de multiples échelles, d’autant qu’elle permet d’envisager la proposition dans l’avenir avec habileté. Les programmes complémentaires proposés pour les incinérateurs des Carrières et Dickson, évoquant l’autonomie conceptuelle de la réflexion des membres de l’équipe, font écho aux opportunités qu’offrent leur contexte immédiat tout en puisant dans le potentiel d’un réseau structurant à l’échelle urbaine. »
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Deuxième prix du jury — Artéfacts des Possibles
Étienne Genest et Christopher Malouf
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Artéfacts des Possibles propose une intervention légère à partir de l’état actuel de ruine urbaine dans lequel se trouve l’incinérateur des Carrières. Suggérant une promenade architecturale, elle fait de l’incinérateur et de ses alentours un espace d’exploration et de réflexion, alimentée par les traces matérielles des différentes fonctions métaboliques qui ont marqué l’histoire de ce site.
Commentaire du jury
« La proposition a retenu l’attention du jury pour la programmation architecturale à fort caractère sensoriel. L’incinérateur des Carrières est ainsi traité à la manière d’une sculpture urbaine entrecoupée de temps de pause par la déambulation. Cette promenade végétalisée intérieure-extérieure met de l’avant le bien-être de l’usager urbain qui exploite à son rythme chaque instant du lieu, le tout empreint d’un dialogue poétique entre les ouvertures unissant le retour de la nature et les points de médiation en dialogue avec le monumental. Les intentions formelles de la proposition offrent une résolution architecturale de calibre et complètent très bien celles évoquées dans le texte, ce qui en fait une proposition convaincante et cohérente. »
Mentions spéciales du jury — Impérissable et Qu’est-ce qui mijote ?
Impérissable propose de doter l’incinérateur de serres préfabriquées, de panneaux solaires sur le toit et d’un parc afin d’encourager l’agriculture urbaine et sobre. Qu’est-ce qui mijote ?, tendant vers une fonction similaire, propose une panoplie d’interventions qui accompagnent le cycle de vie des matières organiques, de leur culture en serres à leur valorisation par méthanisation.
Jeanne Pelletier et Mélanie Lembregts
Xavier Saint-Jean, Joëlle Tétreault et Laurène Smith
Commentaire du jury
« De toutes les propositions déposées par la relève, deux d’entre elles se taillent une place ex aequo en mention spéciale du jury pour leur forte thématique nourricière, ayant une portée universelle, et leur réflexion sur l’implication du public au sein de leur programme. La proposition intitulée Impérissable a retenu l’attention du jury pour la clarté de son approche, consistant à transformer le site à l’aide d’une industrialisation douce, tout en prenant partie des qualités de la standardisation et du potentiel de la reproduction de la solution de serres préfabriquées assistées par une abondante technologie. La proposition intitulée Qu’est-ce qui mijote ? aborde le site sous divers cycles de transformation et d’utilisation de l’espace, en détaillant une approche poétique sur les odeurs et le caractère social de l’alimentation, tout en abordant une transformation graduelle des lieux. Son approche à l’échelle du quartier, combinée à la thématique de la cuisine par et pour tous, enracine le nouveau programme à son site. »
Prix du public — Bain des Carrières
Jérôme Bélanger, Eva McSweeney et Cédric Vézina
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En plus de la sélection des prix par le jury, le public a été sollicité pour voter pour sa proposition favorite entre le 24 septembre et le 1er octobre : plus de 450 votes ont été enregistrés. Près d’un cinquième des votes du public sont allés au projet Bain des Carrières, qui proposait d’implanter une savonnerie, des jardins de fleurs odorantes ainsi que des bains publics dans l’incinérateur des Carrières.
Raviver la flamme
À l’échelle planétaire, l’incinération reste une technologie importante de traitement des résidus ménagers, notamment en Europe et en Asie. Pourtant, en Amérique du Nord et particulièrement au Canada, elle est tombée en défaveur depuis une trentaine d’années. Alors que la conscience environnementale prend de l’ampleur autour des questions de réemploi de bâtiments existants désaffectés, les instances publiques sont amenées à réfléchir à l’avenir de ces édifices et à trouver des pistes de solutions pour leur donner un nouvel usage, ce que le concours d’idéation engendre à travers les propositions des équipes participantes.
« La Ville de Montréal est toujours favorable à collaborer avec Héritage Montréal, d’autres organismes en conservation du patrimoine, des chercheurs universitaires et autres quand il est question de stimuler des idées quant à l’avenir de son parc immobilier. La participation d’étudiants et de professionnels émergents à des activités comme ce concours d’idéation est compatible avec notre mission de sensibilisation au patrimoine […] Le contexte libre et sans contrainte d’un tel exercice permet parfois l’émergence d’idées auxquelles les responsables de ces immeubles n’auraient pas pensé. »
Jean Laberge, architecte à la Division du patrimoine de la Ville de Montréal
Nous tenons à remercier tous les participant·e·s d’avoir rendu cette 3e édition aussi fertile.
- Artefact des possibles (Étienne Genest et Christopher Malouf)
- Bain des Carrières (Jérôme Bélanger, Eva McSweeney et Cédric Vézina)
- Carburant Social (Vincent Boissonneault, Victor Gélinas et Victor Rifiorati)
- Cheminées recyclées (Chloé Dusablon, Justine Gauthier et Joël Potteck)
- Clocher de la résilience (Jules Rodschat et Ryan Agili)
- Contes de ce qui persiste (Philippe Tremblay et Maude Lefebvre)
- Énergie en mouvement (Glory Nasr et Laetitia Bazerji)
- En temps et lieu (Estelle Contant, Markhly Delva et Hadrien Simard)
- Il était une fois (Alexandra Lanthier et Alexandre Duchemin)
- Impérissable (Jeanne Pelletier et Mélanie Lembregts)
- Incinérateur-réparateur (Gabrielle Lemieux et Félicie Giroux)
- Inventaire urbain (Jimmy Ear)
- L’histoire brûle de mille feux (Alexander et Matthew Venditti)
- L’incinérateur brûle (Marianne Roy, Emrick Tremblay et Hatim Assikar)
- La Rhizosphère (Paul Kuchembuck-Dardel, Béatrice Poitras et Rémy Shepherd)
- Le Point repère (Sarah Boisvert et Audrey Thomas Joyal)
- Les cathédrales modernes de Montréal (Roxane Kasprzyk, Garance Bergeron, Leila Gillespie-Cloutier)
- Les Usines culturelles (Isabel Cano, Steven Starkell et Anastasia Jaffray)
- Montréal : de brique et de verre (Juliette Denis, Victor Demers et Charlotte Audifax-Gauthier)
- Montréal brûle ! (Louay Kaoun et Olivier Corriveau-Leblanc)
- Phyto (Sophie Howard et Jean-Philippe Larche-Boudreau)
- Qu’est-ce qui mijote ? (Xavier Saint-Jean, Joëlle Tétreault et Laurène Smith)
- Ruines vivantes (Juan Fernando Barrionuevo, Alexandra Gagnon-Roy et Lisa Hadioui)
- Vers un verre vert (Évan Comte)
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Avec le support de l’Association québécoise pour le patrimoine industriel, CCxA, EVOQ & Sid Lee Architecture.
La Chaire de recherche du Canada en architecture, concours et médiations de l’excellence (CRC-ACME) encourage fièrement la relève en architecture par sa contribution financière à l’archivage des propositions du concours sur le site du Catalogue des Concours Canadiens.
Merci spécial à l’Espace Ville Autrement pour l’accueil de la remise des prix.
Les propositions issues de cet exercice sont avant tout des sources d’inspiration et ne constituent pas des plans contraignants. Elles ont pour objectif de nourrir la réflexion et de susciter des discussions.
Les projets soumis ont été évalués par les membres du jury suivants :
- Sophie Beaudoin, architecte de paysage, coprésidente et associée chez CCxA
- Paloma Castonguay-Rufino, étudiante au doctorat en architecture à l’Université de Montréal
- Georges Drolet, architecte directeur associé chez EVOQ
- Jeffrey Perron, architecte concepteur chez Sid Lee Architecture
À propos du Comité de la relève d’Héritage Montréal
Le Comité de la relève d’Héritage Montréal, créé en 2016, veut faire vivre le patrimoine autrement, laboratoire d’exploration d’activités alternatives en lien avec la découverte (ou la redécouverte) du patrimoine. Le comité a pour mission de développer de nouveaux axes de sensibilisation, de communication et d’échange avec la relève en architecture, en urbanisme, en patrimoine et en design qui s’intéresse au patrimoine bâti montréalais, pour multiplier les possibilités de collaboration et faciliter le partage des expériences et des parcours divers. Regroupant une dizaine de membres bénévoles, le Comité de la relève organise des événements (visites, expositions, ciné-causeries…) pour aborder le patrimoine montréalais avec un angle ludique, inédit et engagé.